Heaven Road, Mai 1973
André Beldent, 1er trimestre 1973
Heaven Road, qui est – rappelons-le – le groupe-phare de la région, découvre alors en ses terres une formation dont il ignore presque l’existence : « [Notre carrière] a démarré à la grande époque du Golf Drouot, à l’époque où des groupes comme Ange ou Mona Lisa fréquentaient les mêmes endroits que nous. On a peut-être eu le handicap de se retrouver avec un léger décalage par rapport à ces groupes-là. On faisait un peu le même style de musique qu’eux, sans savoir qu’eux existaient. Bon, on est arrivé un peu trop tard, je pense, dans le circuit. » [1] On peut effectivement trouver des points communs entre la musique de Heaven Road et celle de Ange, comme par exemple l’équilibre astucieux entre des rythmiques puissantes et des constructions harmoniques et mélodiques très riches, ou une inspiration majoritairement onirique. De plus, les deux groupes développent des formules sonores certes différentes, mais dont la spécificité repose largement sur l’emploi des claviers : les deux frères Christian et Francis Décamps, tous deux claviéristes, utilisent respectivement des orgues Hammond et Viscount, alors que de son côté, Jérôme est partout à la fois, à l’orgue, au piano, au cymbalet ou au clavinet !
Jérôme Lavigne sur scène, 1973
On pourrait légitimement imaginer que la rencontre avec le nouveau groupe-leader de la mouvance pop française puisse avoir eu une influence déterminante sur les membres de Heaven Road. Mais tant pis pour la légende, il ne s’agit point là d’une quelconque révélation : « Ça aurait pu, sans doute, si nous avions pris le temps de discuter avec ces quasi-pros, anciens galériens comme nous, les éternels amateurs… Mais je crois qu’on ne l’a pas fait parce qu’on n’y a même pas pensé. Nous avons dû être simplement impressionnés par le niveau de perfection atteint par… ces gens-là, sur le plan scénique, vocal et instrumental. Je parle surtout pour moi mais je crois qu’à cette époque nous n’avions pas une idée ou un projet très clair et précis pour le groupe, je veux dire pour un projet d’avenir à long terme suffisamment affirmé. » [2]
Le groupe passe la plus claire partie du premier semestre de l’année 1973 à travailler sur de nouvelles compositions, qui vont intégrer rapidement sa set-list et qui, pour certaines d’entre elles, y figureront assez longtemps. C’est le cas par exemple de « La Chasse Royale », ballade aux contours pop et aux relents médiévistes, avec un texte faussement rigolard, en réalité une critique sociale assez distanciée. Le titre « La Chasse Royale » fait également référence au quartier manceau du même nom, dans lequel réside à cette époque Yves Tribaleau. Heaven Road crée également à cette époque « Le Fou » et « Chienne de Vie », deux titres dans un registre rock plus basique que les compositions habituelles du groupe, et qui tranchent ainsi sensiblement avec le reste de son répertoire. Ces deux compositions seront pourtant jouées par le groupe à chacun de ses concerts, et avec beaucoup de plaisir, puisque celles-ci évoquent les racines rock & roll des quatre musiciens et leur offrent ainsi un exutoire, une sorte de récréation. Cette orientation choisie par Heaven Road avec « Le Fou » et « Chienne de Vie » n’est pas tout à fait innocente, puisque le groupe joue ainsi une nouvelle carte dans le cadre de ses démarches en vue de l’enregistrement d’un 45-tours, espérant convaincre d’éventuels producteurs avec ces deux morceaux qui présentent un potentiel commercial plus évident que ses autres compositions. Il existe un document sonore, issu des « Tribaleau Tapes », qui donne à entendre plusieurs prises instrumentales de « Le Fou », à un stade assez primitif de son élaboration.
Le samedi 12 mai, Heaven Road est à l’affiche d’un festival à la Halle au Boudin, à Mortagne (Orne), en compagnie d’autres formations locales, parmi lesquelles Kyste, Utopic, Bull ou A.C.T. Cette manifestation, le « Pré-Pop Life », qui rassemble quelque 500 spectateurs, est en fait un tour de chauffe pour le vrai « Pop Life » qui doit se tenir à Bellême dans l’Orne, le dernier week-end de juin. La presse locale, et tout particulièrement un journaliste pour le moins haineux, couvre l’événement de façon incendiaire. Pour qui s’interrogerait sur la manière dont la pop-music était perçue en 1973 par le public des musiques dites sérieuses, les quelques lignes qui suivent, extraites d’un quotidien ornais, seront riches d’enseignement : « […] Convaincus que la pop est un grand art, les organisateurs ont tiré la conclusion de la soirée : « Tous les amateurs de rythme et de musique sont là ce soir… » A moins de 10 km de cette soirée, cependant, au Pin-La-Garenne, grâce à deux musiciens, une centaine de personnes écoutaient alternativement du Couperin, Frescobaldi, Bach, tandis que ce même soir, près de 3000 personnes écoutaient le merveilleux Messie de Haëndel, admirablement interprété par la chorale Elisabeth Brasseur, l’orchestre de Caen et d’Alençon et des solistes de l’opéra de Londres : n’était-ce donc point de la musique (qui a survécu à plusieurs siècles) et les auditeurs n’aimaient-ils pas la musique ? Où en sera la pop-musique dans une centaine d’années ? » [3]
Henri Leproux
On a déjà eu l’occasion d’évoquer dans ces lignes le Golf Drouot et son importance capitale dans la culture rock française, mais on n’a guère parlé de celui qui a fait de ce club une véritable place forte de la musique de rythme en France. Au mois de janvier 1955, Henri Leproux, jeune barman, passionné de boxe et de musique, a le coup de foudre pour un golf miniature, situé à l’étage du café d’Angleterre, sis 2 rue Drouot. En quelques mois, il transforme ce petit lieu anonyme en une salle de concerts dans laquelle on verra se presser une jeunesse avide de rythme et d’électricité, en lieu et place des anciens habitués du mini-golf et du thé de cinq heures. Quelques milliers de concerts plus tard, le Golf Drouot aura à jamais acquis son surnom de « temple du rock », dans lequel tant de légendes se créeront. On comprend donc que Henri Leproux, directeur du Golf Drouot, soit un personnage archi-révéré dans le petit monde du rock français, en même temps qu’il incarne une sorte de parrain bienveillant pour tous les groupes qu’il verra passer sur sa scène. Le mardi 12 juin, Henri Leproux est au Mans, invité d’honneur au foyer de jeunes travailleurs « Le Relais », pour une soirée très particulière, organisée par de jeunes résidents et qui a pour thème la pop-musique. Vaste sujet, qui sera traité ce soir-là sur divers modes, diffusion d’un montage audiovisuel, débat et enfin concert. Leproux, aux côtés de quelques spécialistes de la pop-music, échange longuement avec les jeunes, notamment sur les difficultés d’implantation d’une musique pop typiquement française, face à l’hégémonie des groupes anglo-saxons. Pour illustrer les spécificités de la pop de chez nous, deux groupes locaux ont été invités à se produire en fin de soirée. On retrouve tout d’abord Kyste, puis une formation que Leproux n’hésite pas à présenter comme « le meilleur groupe français qui n’ait pas encore enregistré », et pour qui 1973 semble être « une année de choix et d’interrogation. Resteront-ils des amateurs ou entreront-ils dans le circuit commercial ? Quelque soit leur décision, il convient de leur souhaiter bonne chance, car que l’on apprécie ou non cette musique, il faut leur reconnaître un talent certain et ils méritent d’aller loin. » [4]
Satan, Changé, Mai 1973
Le groupe ainsi encensé par Henri Leproux n’est autre que Heaven Road, mais qui se présente ce soir-là au public sous un nouveau nom. Un nouveau nom qui sonne comme un coup de tonnerre, qui évoque des images d’autres mondes, qui convoque la folie, le fantastique, les légendes et la peur dans un même imaginaire puissant et intrigant. Rebaptisé Satan, le groupe affirme son ambition de sortir des sentiers battus et d’imposer une identité bien à part. Ce choix d’un nouveau nom n’a rien d’anodin et indique la volonté de se doter d’un fort potentiel d’identification, dans le but de marquer les esprits et ainsi de se démarquer des autres formations françaises, dont les noms de baptême témoignent souvent d’un manque certain d’originalité.
Satan, Cimetière de Changé, Mai 1973
Depuis ses premiers passages au Golf Drouot, Heaven Road s’entendait inlassablement répéter par Henri Leproux : « Prenez un nom français ! » Ce conseil était également repris en chœur par les membres de Dynastie Crisis, Jacky Chalard en tête, ce dernier finissant par soumettre au groupe une liste de patronymes en français. « Il fallait trouver un nom français, il y avait une conjoncture, c’était une question de mode aussi à l’époque. C’était aussi lié à l’idée de vivre de la musique, et sous la pression de pouvoir trouver des producteurs. » [5] Dans la liste fournie par Chalard, deux propositions, phonétiquement proches, semblent plus particulièrement intéresser Yves Tribaleau. Il donne alors au groupe le choix entre Sarah et Satan. « Je me souviens d’une discussion dans la chambre d’Yves Tribaleau. C’était dans l’air depuis un moment, et je me souviens qu’il a proposé le nom Satan, qu’il défendait bien l’idée, même si je crois qu’elle n’était pas de lui. » [6] Kick’s garde lui un autre souvenir de cette étape : « Je ne suis pas sûr que ça aie été une vraie volonté de notre part, et en tous cas, moi, personnellement, je me suis senti un peu exclu de ce genre de discussion. Satan, ça ne me plaisait pas du tout. Et je crois qu’on avait le choix, on a voté, mais on a voté entre la peste et le choléra selon moi, c’était entre Sarah et Satan. Sarah, ça ne me plaisait pas parce que c’est vrai qu’il fallait se déguiser, c’était l’époque Roxy Music et compagnie, donc il fallait se mettre des tas de trucs. Ça me branchait pas trop quoi, c’était le look Bowie, un peu équivoque, décadent. Ça ne me branchait pas du tout, je suis beaucoup plus binaire que ça, et je crois que Macson aussi, on aimait bien plutôt les choses simples, le rock, le blues. Et de l’autre côté, mais pour des raisons de marketing sans doute, c’était une réflexion qui m’échappait mais que je comprenais bien. Enfin, ce n’était pas la réflexion qui m’échappait mais la décision : c’est-à-dire que moi, j’étais contre mais ça s’est fait quand même. » [7]
Satan, cimetière de Changé, Mai 1973
Au-delà de son nom, c’est aussi l’image du groupe qui se trouve radicalement changée avec l’adoption du nom Satan. « Je comprenais bien pourquoi on changeait de nom, parce qu’effectivement Satan, ça sonnait bien, etc, mais je n’aimais pas cette idée de religion ou d’anti-religion, quel que soit le bout par lequel on le prenne » [8] « […] Ça nous permettait un peu de fouiller le côté visuel de notre spectacle, avec l’aspect parapsychologie, on avait fouillé ce côté marginal qui ressortait. » [9] Cette imagerie va se développer à plusieurs niveaux, tout d’abord sur le plan scénique. Le groupe va en effet agrémenter sa présentation scénique de quelques accessoires destinés à illustrer visuellement quelques-unes des multiples dimensions suggérées par le nom Satan. Ainsi, Sam et Jérôme arboreront des maquillages, tandis que Macson se produira couvert d’une grande cape. Kick’s, quant à lui, jouera la sobriété : « A un moment on s’est dit « tiens, on va se mettre des soutanes, ça va être rigolo » mais enfin bon… Moi je trouvais que ça se barrait dans des directions nulles, j’aimais pas du tout cette idée-là. » [10]
Satan, cimetière de Changé, Mai 1973
Le groupe repense également sa communication et fait réaliser une série de photos destinées à intégrer son nouveau dossier de presse. Les cinq musiciens se retrouvent donc au cimetière de Changé (Sarthe), et posent pour une demi-douzaine de clichés pour le moins surprenants. En effet, le groupe ne semble pas particulièrement à l’aise au milieu des croix et des pierres tombales. Même si Jérôme semble s’amuser à faire le clown en posant avec un crucifix, on lit le malaise sur le visage de ses compagnons qui ont bien l’air de se demander ce qu’ils font là… « On était maquillés, fardés, à faire des têtes de méchants ! Franchement on était tous assez beaux gosses, alors aller essayer d’aller jouer aux gros méchants… Bon, à part Macson, qui avait un peu un look à la Zappa, on était de bons garçons, gentils et tout… Je n’aimais pas cette image, le côté noir. » [11] La nouvelle affiche du groupe reprendra l’une des photos réalisées lors de cette séance. On y voit Macson, Kick’s, Sam, Miror et Jérôme, rassemblés autour d’un caveau. Les regards sont maussades, et tout particulièrement celui de Jérôme, assis sur la stèle, les poings serrés. Le dossier de presse constitué par Yves Tribaleau va même encore plus loin. Comme sous-titre au nom du groupe, on peut lire « Satan : esprit tentateur, prince des démons, dieu des ténèbres, roi de la folie méchante. Je prends sur moi tout le mal qui se fait et le restitue à ceux qui veulent m’entendre ; je suis cinq musiciens et je veux que l’on m’écoute car j’ai beaucoup à dire ; ma musique est la tienne et par moi tu t’exprimes. » Effet garanti dans les rédactions de la presse sarthoise de l’époque … Toujours est-il que les membres du groupe ne partagent pas vraiment les options de leur manager quant à la promotion de leur musique. « Franchement, l’affiche dans le cimetière, ça m’a moins choqué ; ce que je trouvais dommage à l’époque, c’était cette mainmise de la part d’un management qui, finalement, s’est révélé pas très efficace et qui nous a imposé des choix qui, je trouve, ne convenaient pas tellement à la musique qu’on faisait. C’était un peu un déguisement, il fallait se déguiser soit en Bowie ou Bryan Ferry, soit faire un peu l’anti-Ange, mettre des toges ou des soutanes… Je crois qu’il fallait trouver un nom qui frappe, qu’on puisse le lier à un look qui frappe aussi, c’était vraiment une réflexion marketing, mais ça n’était que ça, à mon avis. Malheureusement ça n’était pas assez lié avec le contenu artistique. » [12] Yves Tribaleau reconnaît aujourd’hui : « Ça n’était pas forcément la bonne démarche. Ce n’était pas sur le plan musical, c’était juste en termes d’image, c’était plus en termes de vente, de marketing, on dirait ça aujourd’hui. Pas du tout au niveau du contenu musical. » [13]
Jean-Louis Briand, 1er trimestre 1973
Ainsi, comme semblait le prophétiser le Maine Libre quelques semaines plus tôt, 1973 se révèle bel et bien « une année de choix et d’interrogation ». En l’espace d’un été, le groupe aura connu une mutation impressionnante : il change d’abord de nom, adopte une image radicalement nouvelle, perd son chanteur, se sépare de son manager et devient quatuor. C’est par conséquent une formation résolument autre qui entame la seconde moitié de l’année 1973.
On a tout de même pu découvrir ce qu’est la nouvelle orientation du groupe en tant que Satan, lors du festival « Pop-Life » qui s’est tenu à Courthioust, dans le canton de Bellême, le week-end du 28 au 30 juin. Cet événement, qui a connu son prélude lors d’une préchauffe à la Halle au Boudin de Mortagne le mois précédent, est une véritable réussite. Installé au milieu d’immenses champs des collines du Perche, le festival propose des concerts, mais aussi un ciné-théâtre, des expositions de photos, de peinture et d’artisanat. Quelque deux mille jeunes, venus de Normandie, de Sarthe, de Mayenne ou même de Paris, sont accueillis à bras ouverts par le prêtre du canton (qui organise le festival !), les cultivateurs (qui prêtent leurs champs !) et même le maire du village de Colonart-Corubert ! Cette bienveillance étonne et réconforte même, quand on sait les difficultés connues à cette époque par les organisateurs de festivals pop en France. La programmation musicale est également intéressante, alternant artistes folk, groupes pop, jazz, free-jazz et chanson française. Cette affiche se révèle même rétrospectivement assez prestigieuse, avec la programmation d’artistes significatifs tels que Valérie Lagrange, Philippe Val, Anne Vanderlove ou Denis Wetterwald. En ajoutant à tout cela une ambiance bon enfant et une météo ensoleillée, on obtint très logiquement un très bon festival. La semaine suivante, un quotidien local évoquera la manifestation avec un enthousiasme certain : « Au pays de la mesure et même d’un certain conformisme, des jeunes, par centaines, sont venus durant deux jours communier dans la religion supersonique et « franchir le mur de la raison ». […] Deux jours loin du monde super-organisé où il faut désormais attacher sa ceinture pour la sécurité. Un monde qui s’inquiète toujours de voir à côté de lui vivre des groupes différents. Comme un Pop Life. » [17] Dans la programmation pop du festival, on retrouve deux formations mancelles, Kyste et Satan, qui commencent à bien se connaître après quelques affiches communes. Si le passage de Kyste se déroule sans incidents, celui de Satan débute sur une panne de sonorisation. Alors que son équipement le lâche, le groupe doit faire patienter le public, pendant que Gus s’affaire sur le matériel récalcitrant. Quelques soudures concluantes plus tard, Satan débute réellement son concert et obtient un franc succès. Lors de son passage, le groupe interprète « Prologue », « Solitude », « O.S. », « La Nuit Liberté », « L’Enfant Triste », « Démence », « Le Point de Non-Retour », « La Chasse Royale », « Le Fou », « Chienne de Vie », pour terminer sur « Rock Your Mama ». Il existe quelques photos de cette journée. L’une d’entre elles, magnifique, montre Jérôme et Sam lors du soundcheck. Sur une autre, prise lors du concert, un Miror assis se déchaîne sur des derboukas, tandis qu’évolue à ses cotés la silhouette filiforme de Sam, étrangement grimé (les fameux maquillages) et le torse nu, orné d’une mystérieuse peinture représentant un trident. Derrière ses claviers, Jérôme, lui aussi maquillé, semble littéralement possédé.
C’est lors du festival de Bellême que l’on découvre une attraction peu commune, Thomas & Rouillon. Derrière ce nom se cache un duo folk, et deux amis du groupe. Pierre Thomas, surnommé Tom’s, connaît bien la bande de Heaven Road depuis l’époque de l’EN. Il a fait la rencontre du groupe en 1969 à la Maison Sociale du Mans, lors d’un concert auquel il participait lui-même avec la formation les Spirit’s, dont il était le chanteur plus ou moins attitré. Depuis, il suit régulièrement le groupe lors de ses concerts, et fait même partie du cercle de ses proches. Avec son ami Dominique Rouillon, grand féru de blues, il a monté un duo de guitares acoustiques, Framus Texan 6 et 12 cordes pour Tom’s, Fender 12 cordes pour Rouillon. Leur répertoire, qui a commencé à se constituer au début de l’année 1973, fait la part belle aux reprises de standards blues que les deux compères affectionnent, comme « You Don’t Love Me » ou « I’m A King Bee », mais emprunte également quelques titres aux Rolling Stones (« Play With Fire », « Honky Tonk Women ») ou à Chuck Berry (« Around & Around », joué dans un esprit bluesy très roots). Mais ce qui fait la particularité des concerts de Thomas & Rouillon, ce sont leurs compositions originales, entre chanson traditionnelle et folk, sur des textes oscillant entre le folklore rural et le détournement de thèmes publicitaires, de fables de La Fontaine (le tordant « La Cigale et la Fourmi ») ou de chansons d’autres auteurs (comme « Le Petit Requin », désopilant démarquage de « La Baleine Bleue » de Steve Waring). A l’occasion d’un concert au cinéma Le Club le 18 décembre 1973, un article de Mayenne 7 Jours fera d’eux la description suivante : « […] Thomas et Rouillon, des gars de la Sarthe ; un tandem fait de contrastes : Thomas, le petit gros moustachu, qui crie comme un matou en chantant le blues de Fleetwood Mac, acérant ses griffes sur sa guitare aux sons imprégnés de tristesse ; Rouillon, infiniment grand et maigre, aux cheveux longs, portant lunettes et qui compose les chansons, évoquant le folklore celte et le terroir sarthois (« un brave campagnard s’en va à la ville ») en s’inspirant de la musique médiévale » [18] Jean Théfaine, qui assiste également à cette soirée, remarquera : « Thomas et Rouillon […] ont le blues chevillé au corps. Je ne sais pas d’où ils nous arrivent, mais ce qu’ils font mérite l’attention. Techniquement, ce n’est pas mauvais du tout et le chanteur copie ses maîtres avec une certaine réussite. » [19] Pour en revenir au festival de Bellême, la participation du duo se fait donc à la faveur des défaillances du matériel de Satan. Les deux compères se trouvent dans le public ; ils sont venus pour voir Satan mais aussi dans l’espoir de s’inviter spontanément dans la programmation du festival. Cette deuxième option s’est révélée vaine, mais alors que Gus s’attaque à la réparation in extremis des amplis en panne, Lulu monte sur scène et décrète : « Tom’s, Rouillon, c’est à vous ! ». S’ensuit alors une bonne partie de rigolade, les deux compères « en flagrant délire » se lançant notamment dans une chronique hilarante du feuilleton politique et social de cet été 73, à savoir le mouvement de grève des ouvriers de l’usine Lip à Besançon, qui relance le débat sur l’autogestion.
Si l’on a vu que 1973 était pour Satan une année de choix, d’interrogations et de changements, elle est plus que jamais placée sous le signe d’un travail acharné. Récemment installé dans une nouvelle fermette à Mézières-Sous-Lavardin, le groupe a retrouvé son rythme effréné marqué par les répétitions, la composition de nouveaux thèmes et arrangements, la conception de nouveaux effets scéniques. Chaque membre du groupe s’investit corps et âme dans le groupe, dont la dynamique s’est trouvée elle aussi transformée par les mutations de l’été précédent. De par son effectif réduit, Satan se découvre un nouveau fonctionnement, dans lequel le processus créatif, s’il est commun et démocratique, se concentre tout de même entre Jérôme et Macson, principaux compositeurs du groupe. Jérôme, qui n’a jamais caché son goût pour les sciences occultes (et en particulier le spiritisme), semble s’investir plus que les autres dans la dimension mystérieuse de Satan. Une atmosphère étrange se mêle parfois à la vie du groupe. La légende veut qu’un soir à la ferme, quelqu’un retrouvât dix allumettes brûlées plantées dans le beurre ; possible manifestation de l’esprit de Satan…
Jérôme Lavigne, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973
Mais l’on peut tout aussi bien tenter de comprendre ce qui distingue Satan de Ange. Tout d’abord, le niveau instrumental : en effet, à l’exception de l’extraordinaire vocaliste qu’est Christian Décamps, Satan n’a absolument rien à envier à Ange dans ce domaine, ses musiciens faisant preuve de qualités d’instrumentistes égales voire peut-être supérieures. Ensuite, les sources d’inspiration des deux groupes, si elles ont en commun l’onirisme, se révèlent tout de même bien différentes. Alors que l’univers de Ange est très marqué par le fantastique, le médiévisme et les traditions rurales, celui de Satan témoigne d’influences peut-être moins particulières, mais tout aussi déterminantes, comme celle de la littérature. Peut-être faut-il y voir un rapport avec le fait que les musiciens de Satan soient d’anciens étudiants, toujours est-il que leur musique fait régulièrement référence à des œuvres ou des auteurs bien spécifiques. Le meilleur exemple de cette source d’inspiration est l’une des nouvelles compositions du groupe, sur laquelle celui-ci aura travaillé d’arrache-pied durant une grande partie de l’année 1973.
Christian Savigny, 1er trimestre 1973
Cette composition s’appelle « La Nuit des Temps » et doit son titre au roman du même nom, écrit par René Barjavel et qui s’est vu décerner le Prix des Libraires en 1968. Cet ouvrage se révèle d'une importance considérable dans le contexte littéraire de l'époque, à plusieurs titres. Tout d'abord pour son caractère novateur, puisqu'il mêle plusieurs genres, tels la fiction et le reportage. Ensuite pour son thème, qui passionnera plusieurs millions de lecteurs, et qui s'inscrit parfaitement dans le courant de la science-fiction, très populaire à cette époque où sort également un autre chef d'œuvre du genre, le film "2001 : A Space Odyssey" de Stanley Kubrick. "La Nuit des Temps" raconte l'histoire fascinante de la découverte d'une civilisation d'un autre âge, enfouie au fond des glaces depuis 900 000 ans, et à l'origine de l'humanité suite à une guerre atomique. Il semble que l’idée d’adapter le livre en musique soit d’abord venue de Miror, mais elle rencontrera l’enthousiasme des autres membres de Heaven Road. Ceux-ci se lanceront alors dans la construction de plusieurs thèmes musicaux qui seront ensuite agencés de façon à constituer une sorte de fresque cohérente. « On a repris la trame de ce roman de Barjavel et, comme on fait un film, on a fait une musique, voilà. » [20] D’une durée avoisinant les dix minutes, « La Nuit des Temps » témoigne de la capacité des musiciens à collaborer dans un processus créatif, avec la mise en commun d’idées, selon la dynamique inaugurée deux ans auparavant avec « Soleils Couchants ». Et le résultat s’inscrit parfaitement dans l’état d’esprit du rock progressif de l’époque et de la dimension architecturale de ses modes de composition. « On a mis ça en relation avec différents thèmes qui devaient déjà exister, et après on a commencé à travailler sur le côté image. Image sonore, puis image visuelle, mais d’abord image sonore. » [21] Cette notion d’image ainsi évoquée par Kick’s n’est pas anodine dans la démarche créative de Satan, qui est orientée vers une approche très particulière de la composition. Satan, qui n’ignore pas les difficultés de la langue française à s’imposer de façon crédible dans le domaine de la pop-music, se confronte comme beaucoup d’autres à la question d’écrire des textes significatifs en français. Et si leurs textes (principalement dus à Macson) sont dans l’ensemble intéressants, les membres du groupe contourneront ce problème en privilégiant le langage instrumental, pour exploiter au maximum son potentiel d’expressivité. Ainsi, prolongeant la démarche qui avait abouti à la création d’un thème comme « O.S. », la musique de Satan se distinguera par sa grande puissance de suggestion et d’évocation dans ses peintures instrumentales. « […] C’était un petit peu la façade de ce qu’on voulait faire, c’est-à-dire, une musique d’une part visuelle et d’autre part très représentative d’un scénario, d’un concept, c’était comme un film, en fait […] » [22] Cette approche se révèle être très stimulante pour le groupe : « Ça me transportait, ça avait une signification particulière. On travaillait comme si on faisait de la musique de film ; j’ai toujours rêvé de faire de la musique de film, je me souviens de ça. » [23] Enfin, il est amusant de noter que René Barjavel avait initialement conçu « La Nuit des Temps » comme le scénario d'un film de science-fiction, suite à une commande du réalisateur André Cayatte. Le projet ne verra en fait jamais le jour, pour des raisons financières. Barjavel pouvait-il se douter alors que son ouvrage serait adapté cinq ans plus tard par un groupe de rock ?
Richard Fontaine, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973
Si Satan commence à définir des choix esthétiques très personnels pour sa musique, « La Nuit des Temps », par sa construction et ses arrangements, rappelle inévitablement quelques grands noms de l’underground progressif britannique. Par exemple, la première partie du morceau évoque le romantisme cosmique du Pink Floyd d’avant « Dark Side Of The Moon » ; l’une des illustrations de son influence manifeste sur le groupe manceau réside dans cette capacité à figurer en musique l’immensité, les grands espaces, à partir de thèmes très simples mais aux qualités presque allégoriques. Cette qualité commune n’est pas surprenante outre mesure, si l’on se réfère à l’intérêt considérable porté par Satan à la musique de film, alors que le Pink Floyd est notamment réputé pour ses illustrations sonores du cinéma underground (« More » et « La Vallée » de Barbet Schroeder, « Zabriskie Point » de Michelangelo Antonioni). Si les battements de cœur de l’introduction évoquent immanquablement les premières secondes de « Dark Side Of The Moon », l’inspiration floydienne se retrouve aussi dans les phrases de guitare de Macson, aux accents gilmouriens descendus en droite ligne de « Echoes ». Et tout comme le guitariste de Pink Floyd, Macson fait d’abord parler le feeling avant la technicité. La seconde partie de « La Nuit des Temps » est moins planante et plus aventureuse, marquée par une série de thèmes d’écriture relativement complexe, qui évoquent cette fois le Genesis du « Return Of The Giant Hogweed ». Enfin, le dernier thème du morceau est dominé par une ravissante mélodie et offre une conclusion émouvante, un final puissant. Satan présente « La Nuit des Temps » au public manceau lors de son spectacle de rentrée à la Salle des Concerts le vendredi 14 septembre ; ce thème deviendra dès lors son cheval de bataille, un passage obligé, attendu par le public à chacun de ses concerts. Le 22, le groupe effectue un nouveau passage au Golf Drouot, présentant au public parisien ses dernières compositions et son nouveau spectacle.
Au mois d’octobre, la MJC Le Mans-Centre organise un grand festival de musique populaire de trois jours qui se tient sous chapiteau, avenue François Chancel. La programmation est très éclectique, puisque l’événement accueille des groupes folkloriques bretons le 27, et des artistes pop, folk et blues les deux soirs suivants. Satan se produit dans la soirée du 28 octobre, à la même affiche que Thomas & Rouillon (filmés par FR3), Mona Lisa, Bill Deraime, Yvon Roussel, Jean Leguay et Bouzouki. La presse salue le courage de la MJC Le Mans-Centre qui a organisé cet événement alors qu’elle connaît à cette époque de grandes difficultés financières. Pour cette raison, les artistes ne percevront aucun cachet mais seront défrayés pour leurs séjours et déplacements. La manifestation connaît un succès certain, et l’on parle alors de nouveau départ pour la MJC.
Satan, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973
Le 30 novembre, Satan retrouve la Salle des Concerts du Mans pour présenter au public manceau son nouveau spectacle. La première partie est assurée par Denis Wetterwald, que Satan a rencontré l’été précédent lors du festival « Pop Life » de Bellême. Le concert est organisé par une association loi 1901 du Mans qui vient tout juste de se constituer. Celle-ci répond au doux patronyme de Peoria, certes le nom d’une ville de l'état américain de l'Illinois, mais aussi et surtout d’un morceau issu de l’album live « Earthbound » de King Crimson , paru en 1972. Avec d’aussi saines références, voilà une association qui promet d’être intéressante !
Peoria voit le jour le 9 novembre, par la volonté de quatre amis qui souhaitent réagir face à la rareté persistante des manifestations musicales rock, jazz ou de style contemporain sur Le Mans. Dans un de leurs premiers communiqués à la presse, ils font le constat suivant : « L’individu est réduit, mancellement et mensuellement, à ne recevoir que sa ration, sa pâtée divertissante, la petite bouffée d’un plaisir désuet et […] fort peu conséquent (Cornes de Clocheville, Mousquevents au Scooter, Trucs Z’en plumes ou à poil, Claudel et ses Claudettes, etc…etc…) ; les tentatives qui voudraient contribuer à une activité réelle accusent maintes difficultés, fléchissements… La MJC Pasteur, faute de crédits, est en train de s’éteindre. Autre effort contrarié : celui du Pâtis [petit cinéma de la rue d’Eichtal, dans le quartier du Pâtis Saint-Lazare, NDR] qui, tout en poursuivant son programme « art et essai », a informé les cinéphiles, depuis un certain temps déjà, de son manque de moyens, et s’est vu contraint de « varier » un peu plus ses affiches (introduction de films à succès). » [24]
L’objectif de Peoria est donc de promouvoir les musiques nouvelles (rock, jazz contemporain, free-jazz, musique concrète, recherche électro-acoustique) en organisant sur Le Mans des concerts d’artistes d’avant-garde, en mobilisant le public manceau sur une certaine forme de réflexion sur la culture. L’association entend également apporter une aide, un accompagnement, aux groupes locaux expérimentaux et méconnus, et proposer à long terme d’autres types de spectacles (théâtre, cinéma). La démarche de Peoria s’inscrit dans une dimension culturelle militante que l’on retrouve dans les initiatives d’autres associations telles que Aspekt (Orléans), dans le sillage du Rezo Zero, le premier circuit d’action culturelle parallèle en France, et dont la coordination est assurée par Annecy Jazz Action. Afin de monter leur association dans les meilleures conditions, les membres de Peoria ont même pris contact au préalable avec Giorgio Gomelsky, légendaire manager des Yardbirds et des Rolling Stones aux jours du Crawdaddy Club de Richmond, et qui en 1973, gère les affaires de Magma. Celui-ci leur prodiguera notamment de précieux conseils concernant le fonctionnement des associations à but non lucratif, en termes de droit juridique, de fiscalité, de comptabilité, ou de droits d’auteurs.
Richard Fontaine, 1er trimestre 1973
Dès la constitution de l’association et sa déclaration en préfecture, Peoria organise donc son concert de lancement, dont Satan et Denis Wetterwald se partagent l’affiche, le 30 novembre à la Salle des Concerts. Le spectacle est censé répondre à quatre objectifs : un départ efficace financièrement, artistiquement convaincant, qui apporte quelque chose de nouveau et qui s’inscrive dans la logique du projet « contre-culturel » de l’association. Pourtant, le choix de Satan pour ce concert de lancement suscite une polémique au sein de l’association : l’un de ses membres craint de s’écarter du cahier des charges que Peoria avait établi, en termes d’exigences artistiques. Dans un courrier qu’il adresse à ses compagnons, il décrit Satan comme « un groupe « moyen », qui a bien digéré techniquement et assumé les stéréotypes (par exemple, le truc décadent) » [25], mais « qui n’a rien de nouveau dans le département, ni rien de novateur non plus » [26].
On peut légitimement s’étonner de voir Heaven Road / Satan ainsi pris en défaut d’originalité et d’innovation, alors qu’il s’agit justement d’une des seules (pour ne pas dire la seule) formations rock locales qui aient fait le choix d’expérimenter des formes d’expression musicale relativement nouvelles et exigeantes. Peut-être faut-il voir là une manifestation du snobisme qui agite à cette époque une certaine frange du public, pour lequel il n’y a point de salut hors des formes extrêmes de l’avant-garde (free-jazz, musique concrète). Ceci viendrait également contredire la fameuse réputation d’« intello » de Heaven Road / Satan…
Quoi qu’il en soit, le concert remportera un assez beau succès, puisqu’il rassemblera plus de deux-cents spectateurs dans la petite Salle des Concerts. Peoria s’en tirera avec un déficit – raisonnable – de trente francs, mais ne se découragera pas. En effet, l’association annonce aussitôt à la presse qu’elle ambitionne de programmer sur Le Mans des formations comptant parmi la fine fleur de l’underground progressif français, Contrepoint, Troc, Zao, Magma ou Gong ! Et effectivement, Peoria tiendra ses promesses et organisera, sur la première moitié de l’année 1974, la venue au Mans de Zao (le 10 janvier 1974), Gong (8 février) et Nucleus (11 avril). Peoria prendra même un sacré bouillon à l’occasion de l’annulation d’un concert de Magma, programmé à la date du 6 avril au Théâtre Municipal, mais suspendu pour cause de deuil national suite au décès de Georges Pompidou. Parallèlement, Peoria jouera durant quelques mois un rôle d’agent pour Satan, lui décrochant quelques engagements intéressants dont nous reparlerons.
André Beldent, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973
Lors de ce concert du 30 novembre, Satan présente au public manceau quelques-unes de ses nouvelles compositions. Celles-ci se situent encore dans un registre fortement empreint d’onirisme, à l’image de « Cauchemar », dont le texte est une petite merveille :
Sa bouche de feu étrangle ma vie
Sous ses dents de lumière je me sens tout petit
Est-ce un homme, une femme qui croque ainsi mon cœur
Ou bien quelque machine, monstre venu d’ailleurs ?
Lorsque le silence revient
Je suis là, je ne comprends rien
Tout tourne autour de moi
Et je te vois…
Tu approches de moi, irréelle beauté
Tu me parles tout bas, et puis tu disparais
Je vois dans un miroir ce qui reste de moi
Une ombre triste et noire, l’ombre de mon effroi
Dans une aveuglante clarté
J’ai peur, je ne sais où aller
Et puis soudain le noir se fait
Je me réveille.
Satan, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973
A cette époque, Satan crée sur scène une autre composition importante, « Le Voyage », qui résume assez bien la vision musicale de Jérôme, fortement influencée par le courant progressif symphonique. Au lieu d’une construction classique avec couplets et refrain, la structure explore un déroulement inhabituel, avec une succession de thèmes variés, dont la particularité réside dans la diversité des climats et des ambiances. Plus encore que « La Nuit des Temps », « Le Voyage » témoigne de l’influence de ce rock progressif britannique (Genesis, Yes, Gentle Giant), par ses audaces et sa fougue, avec ses ruptures de rythme et ses développements alambiqués. Les textes sont eux aussi très intéressants, consacrant avec assez de bonheur la rencontre de l’épopée et de la science-fiction, sur une série d’images poétiques très évocatrices, même si l’ensemble n’est pas exempt d’une certaine naïveté. Avec « Le Voyage », Satan dresse le premier portrait d’un héros picaresque, le passeur de temps, qui illustre cette fascination des membres du groupe pour le thème de la temporalité, qui se trouvait déjà à la base de « La Nuit des Temps » et que l’on retrouvera plus tard dans une composition comme « L’Aigle ». Comme chaussé de gigantesques bottes de sept lieues, le héros passe d’une époque à l’autre, d’un monde au prochain, toujours sur le mode de la rupture. Lassé de sa vie sur Terre, le voyageur s’embarque pour un périple dans l’espace, au terme duquel il fera la découverte d’une planète enchanteresque, avant de regagner la Terre en proie à l’apocalypse du monde du futur. Les vocaux de Macson, emphatiques et dramatiques, sont dotés d’une puissance et d’une force de conviction assez rares, contrastés par les harmonies vocales de Jérôme, Kick’s et Sam. « Le Voyage » correspond en tous points à la description que donne à l’époque Satan de sa musique, « […] très personnelle, tantôt agressive, tantôt douce, faite de violence et de beauté. » [27]
Satan, sur les planches Golf Drouot, 14 décembre 1973
Le vendredi 14 décembre, Satan retrouve la scène du Golf Drouot à l’occasion du Super Tremplin, parrainé par la revue spécialisée Extra. En compétition avec les cinq autres « meilleurs groupes amateurs du moment » Climats (Nord), Tangerine (Nice), Novalis (Chantilly), Apocalypse (Paris) et Quatre Vents (Meudon), Satan remporte la palme à l’unanimité du jury. Extra fait le compte-rendu suivant : « Satan l’emporta grâce aux qualités évidentes de son chanteur et de ses musiciens qui réussirent à ne pas lasser les spectateurs. Satan joue une musique personnelle inspirée des « grands planants ». Néanmoins, il reste beaucoup de chemin à ces musiciens avant d’atteindre les étapes supérieures de ce métier. Le travail devrait pouvoir donner à Satan une certaine solidité, qui effacerait ses péchés de jeunesse. » [28] Le groupe est invité à recevoir son prix lors d’un cocktail le jeudi 20 décembre, toujours au Golf Drouot, et gagne également un orgue offert par la firme Farfisa. « Après le tremplin, on avait été à Paris, on avait été accueillis par la presse, on pensait que c’était parti, on y croyait. » [29]
Satan, début 1974
[12] Christian Savigny, interview 25/03/04
[14] Christian Savigny, interview 25/03/04
[16] Jean-Louis Briand, interview 24/03/04
[17] coupure de presse non-référencée
[18] Mayenne 7 Jours, 29.12.73
[19] Ouest-France, 21.12.73
[20] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[21] Christian Savigny, interview 25/03/04
[22] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[23] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[24] Communiqué de presse association Péoria, date inconnue (3ème trimestre 1973)
[26] Id.
[27] Maine Libre, 30/11/73
[28] Extra n°39, 02/74
[29] Richard Fontaine, interview 23/03/04