lundi 15 décembre 2008

1973 : De Heaven Road à Satan

Heaven Road commence son année 1973 par une nouvelle apparition à la MJC de Château-du-Loir, à la mi-février. Le groupe est programmé dans le cadre de la fête annuelle de la Chandeleur des Jeunes, en première partie de Ange. Tout comme Magma (dont Heaven Road avait justement assuré la première partie pour la même manifestation, l’année précédente), Ange est un des grands espoirs de la pop-music française. Ce groupe de Belfort est à la tête d’une nouvelle tendance particulièrement porteuse, et qui se révèlera bientôt fédératrice, à savoir le rock progressif symphonique à la française. En effet, Ange, même s’il a inventé son propre style, revendique fièrement sa filiation avec des groupes britanniques comme King Crimson, les Moody Blues ou Genesis, réussissant avec un certain bonheur à transposer les univers de ces derniers dans un imaginaire très personnel, où toutefois les références littéraires sont plus à chercher du côté de Marcel Aymé que de Lewis Carroll. En fait, Ange se caractérise surtout par la forte personnalité de son leader Christian Décamps, qui assume les rôles de chanteur, claviériste et parolier. Décamps a une vision artistique forte, un univers créatif très personnel et surtout une véritable « patte ». On peut considérer qu’il est l’un des premiers en France à donner à la pop-music une dimension lettrée, avec des textes très originaux qui trouvent leur inspiration autant dans le surréalisme que dans la tradition rurale, aboutissant à une sorte de « heroïc-fantasy du terroir », selon une expression fort judicieuse du critique Bruno Versmisse. Christian Décamps se distingue aussi par son jeu de scène très particulier, exubérant et délirant, dans lequel on retrouve les influences d’Ian Anderson (Jethro Tull) ou Peter Gabriel (Genesis). Décamps emprunte beaucoup à l’art de Gabriel, notamment sa dimension théâtralisée et son recours fréquent à des accessoires scéniques (costumes, masques et chapeaux pour Gabriel, petites marionnettes pour Décamps). On retrouvera d’autres émules en France de cette fusion rock-théâtre, notamment Dominique Le Guennec, chanteur du groupe orléanais Mona Lisa.

Heaven Road, Mai 1973

A l’époque où Heaven Road assure sa première partie à Château-du-Loir, Ange a déjà à son actif quatre 45 tours (dont un autoproduit) et un premier album, « Caricatures », paru en 1972 chez Phillips. La même année, Ange figure également sur la compilation du Golf Drouot « Groovy Pop Session » (avec Abracadabra, Pulsar, Tac Poum Système, les Moonlights et Absinthe), puis participe à la tournée d’été de Johnny Hallyday, le « Johnny Circus ». Ange bénéficie donc d’un certain succès d’estime, qui sera confirmé en 1973 avec la parution de son deuxième album, l’excellent « Cimetière des Arlequins », qui comprend notamment l’extraordinaire reprise de « Ces Gens-Là » de Jacques Brel. A ce stade, Ange incarne la revanche de la scène provinciale sur le parisianisme du show-business, démontrant au public et aux gens du métier que les groupes de la capitale n’ont pas le monopole de l’originalité et du talent. Ce parti pris d’indépendance et de provincialisme placera durablement Ange en marge de l’industrie du disque française, ce qui n’empêchera pas le groupe de poursuivre une carrière intéressante, faisant fi des modes et des revirements de la presse spécialisée.

André Beldent, 1er trimestre 1973

Heaven Road, qui est – rappelons-le – le groupe-phare de la région, découvre alors en ses terres une formation dont il ignore presque l’existence : « [Notre carrière] a démarré à la grande époque du Golf Drouot, à l’époque où des groupes comme Ange ou Mona Lisa fréquentaient les mêmes endroits que nous. On a peut-être eu le handicap de se retrouver avec un léger décalage par rapport à ces groupes-là. On faisait un peu le même style de musique qu’eux, sans savoir qu’eux existaient. Bon, on est arrivé un peu trop tard, je pense, dans le circuit. » [1] On peut effectivement trouver des points communs entre la musique de Heaven Road et celle de Ange, comme par exemple l’équilibre astucieux entre des rythmiques puissantes et des constructions harmoniques et mélodiques très riches, ou une inspiration majoritairement onirique. De plus, les deux groupes développent des formules sonores certes différentes, mais dont la spécificité repose largement sur l’emploi des claviers : les deux frères Christian et Francis Décamps, tous deux claviéristes, utilisent respectivement des orgues Hammond et Viscount, alors que de son côté, Jérôme est partout à la fois, à l’orgue, au piano, au cymbalet ou au clavinet !


Jérôme Lavigne sur scène, 1973

On pourrait légitimement imaginer que la rencontre avec le nouveau groupe-leader de la mouvance pop française puisse avoir eu une influence déterminante sur les membres de Heaven Road. Mais tant pis pour la légende, il ne s’agit point là d’une quelconque révélation : « Ça aurait pu, sans doute, si nous avions pris le temps de discuter avec ces quasi-pros, anciens galériens comme nous, les éternels amateurs… Mais je crois qu’on ne l’a pas fait parce qu’on n’y a même pas pensé. Nous avons dû être simplement impressionnés par le niveau de perfection atteint par… ces gens-là, sur le plan scénique, vocal et instrumental. Je parle surtout pour moi mais je crois qu’à cette époque nous n’avions pas une idée ou un projet très clair et précis pour le groupe, je veux dire pour un projet d’avenir à long terme suffisamment affirmé. » [2]

Le groupe passe la plus claire partie du premier semestre de l’année 1973 à travailler sur de nouvelles compositions, qui vont intégrer rapidement sa set-list et qui, pour certaines d’entre elles, y figureront assez longtemps. C’est le cas par exemple de « La Chasse Royale », ballade aux contours pop et aux relents médiévistes, avec un texte faussement rigolard, en réalité une critique sociale assez distanciée. Le titre « La Chasse Royale » fait également référence au quartier manceau du même nom, dans lequel réside à cette époque Yves Tribaleau. Heaven Road crée également à cette époque « Le Fou » et « Chienne de Vie », deux titres dans un registre rock plus basique que les compositions habituelles du groupe, et qui tranchent ainsi sensiblement avec le reste de son répertoire. Ces deux compositions seront pourtant jouées par le groupe à chacun de ses concerts, et avec beaucoup de plaisir, puisque celles-ci évoquent les racines rock & roll des quatre musiciens et leur offrent ainsi un exutoire, une sorte de récréation. Cette orientation choisie par Heaven Road avec « Le Fou » et « Chienne de Vie » n’est pas tout à fait innocente, puisque le groupe joue ainsi une nouvelle carte dans le cadre de ses démarches en vue de l’enregistrement d’un 45-tours, espérant convaincre d’éventuels producteurs avec ces deux morceaux qui présentent un potentiel commercial plus évident que ses autres compositions. Il existe un document sonore, issu des « Tribaleau Tapes », qui donne à entendre plusieurs prises instrumentales de « Le Fou », à un stade assez primitif de son élaboration.

Le samedi 12 mai, Heaven Road est à l’affiche d’un festival à la Halle au Boudin, à Mortagne (Orne), en compagnie d’autres formations locales, parmi lesquelles Kyste, Utopic, Bull ou A.C.T. Cette manifestation, le « Pré-Pop Life », qui rassemble quelque 500 spectateurs, est en fait un tour de chauffe pour le vrai « Pop Life » qui doit se tenir à Bellême dans l’Orne, le dernier week-end de juin. La presse locale, et tout particulièrement un journaliste pour le moins haineux, couvre l’événement de façon incendiaire. Pour qui s’interrogerait sur la manière dont la pop-music était perçue en 1973 par le public des musiques dites sérieuses, les quelques lignes qui suivent, extraites d’un quotidien ornais, seront riches d’enseignement : « […] Convaincus que la pop est un grand art, les organisateurs ont tiré la conclusion de la soirée : « Tous les amateurs de rythme et de musique sont là ce soir… » A moins de 10 km de cette soirée, cependant, au Pin-La-Garenne, grâce à deux musiciens, une centaine de personnes écoutaient alternativement du Couperin, Frescobaldi, Bach, tandis que ce même soir, près de 3000 personnes écoutaient le merveilleux Messie de Haëndel, admirablement interprété par la chorale Elisabeth Brasseur, l’orchestre de Caen et d’Alençon et des solistes de l’opéra de Londres : n’était-ce donc point de la musique (qui a survécu à plusieurs siècles) et les auditeurs n’aimaient-ils pas la musique ? Où en sera la pop-musique dans une centaine d’années ? » [3]

Henri Leproux

On a déjà eu l’occasion d’évoquer dans ces lignes le Golf Drouot et son importance capitale dans la culture rock française, mais on n’a guère parlé de celui qui a fait de ce club une véritable place forte de la musique de rythme en France. Au mois de janvier 1955, Henri Leproux, jeune barman, passionné de boxe et de musique, a le coup de foudre pour un golf miniature, situé à l’étage du café d’Angleterre, sis 2 rue Drouot. En quelques mois, il transforme ce petit lieu anonyme en une salle de concerts dans laquelle on verra se presser une jeunesse avide de rythme et d’électricité, en lieu et place des anciens habitués du mini-golf et du thé de cinq heures. Quelques milliers de concerts plus tard, le Golf Drouot aura à jamais acquis son surnom de « temple du rock », dans lequel tant de légendes se créeront. On comprend donc que Henri Leproux, directeur du Golf Drouot, soit un personnage archi-révéré dans le petit monde du rock français, en même temps qu’il incarne une sorte de parrain bienveillant pour tous les groupes qu’il verra passer sur sa scène. Le mardi 12 juin, Henri Leproux est au Mans, invité d’honneur au foyer de jeunes travailleurs « Le Relais », pour une soirée très particulière, organisée par de jeunes résidents et qui a pour thème la pop-musique. Vaste sujet, qui sera traité ce soir-là sur divers modes, diffusion d’un montage audiovisuel, débat et enfin concert. Leproux, aux côtés de quelques spécialistes de la pop-music, échange longuement avec les jeunes, notamment sur les difficultés d’implantation d’une musique pop typiquement française, face à l’hégémonie des groupes anglo-saxons. Pour illustrer les spécificités de la pop de chez nous, deux groupes locaux ont été invités à se produire en fin de soirée. On retrouve tout d’abord Kyste, puis une formation que Leproux n’hésite pas à présenter comme « le meilleur groupe français qui n’ait pas encore enregistré », et pour qui 1973 semble être « une année de choix et d’interrogation. Resteront-ils des amateurs ou entreront-ils dans le circuit commercial ? Quelque soit leur décision, il convient de leur souhaiter bonne chance, car que l’on apprécie ou non cette musique, il faut leur reconnaître un talent certain et ils méritent d’aller loin. » [4]

Satan, Changé, Mai 1973

Le groupe ainsi encensé par Henri Leproux n’est autre que Heaven Road, mais qui se présente ce soir-là au public sous un nouveau nom. Un nouveau nom qui sonne comme un coup de tonnerre, qui évoque des images d’autres mondes, qui convoque la folie, le fantastique, les légendes et la peur dans un même imaginaire puissant et intrigant. Rebaptisé Satan, le groupe affirme son ambition de sortir des sentiers battus et d’imposer une identité bien à part. Ce choix d’un nouveau nom n’a rien d’anodin et indique la volonté de se doter d’un fort potentiel d’identification, dans le but de marquer les esprits et ainsi de se démarquer des autres formations françaises, dont les noms de baptême témoignent souvent d’un manque certain d’originalité.

Satan, Cimetière de Changé, Mai 1973

Depuis ses premiers passages au Golf Drouot, Heaven Road s’entendait inlassablement répéter par Henri Leproux : « Prenez un nom français ! » Ce conseil était également repris en chœur par les membres de Dynastie Crisis, Jacky Chalard en tête, ce dernier finissant par soumettre au groupe une liste de patronymes en français. « Il fallait trouver un nom français, il y avait une conjoncture, c’était une question de mode aussi à l’époque. C’était aussi lié à l’idée de vivre de la musique, et sous la pression de pouvoir trouver des producteurs. » [5] Dans la liste fournie par Chalard, deux propositions, phonétiquement proches, semblent plus particulièrement intéresser Yves Tribaleau. Il donne alors au groupe le choix entre Sarah et Satan. « Je me souviens d’une discussion dans la chambre d’Yves Tribaleau. C’était dans l’air depuis un moment, et je me souviens qu’il a proposé le nom Satan, qu’il défendait bien l’idée, même si je crois qu’elle n’était pas de lui. » [6] Kick’s garde lui un autre souvenir de cette étape : « Je ne suis pas sûr que ça aie été une vraie volonté de notre part, et en tous cas, moi, personnellement, je me suis senti un peu exclu de ce genre de discussion. Satan, ça ne me plaisait pas du tout. Et je crois qu’on avait le choix, on a voté, mais on a voté entre la peste et le choléra selon moi, c’était entre Sarah et Satan. Sarah, ça ne me plaisait pas parce que c’est vrai qu’il fallait se déguiser, c’était l’époque Roxy Music et compagnie, donc il fallait se mettre des tas de trucs. Ça me branchait pas trop quoi, c’était le look Bowie, un peu équivoque, décadent. Ça ne me branchait pas du tout, je suis beaucoup plus binaire que ça, et je crois que Macson aussi, on aimait bien plutôt les choses simples, le rock, le blues. Et de l’autre côté, mais pour des raisons de marketing sans doute, c’était une réflexion qui m’échappait mais que je comprenais bien. Enfin, ce n’était pas la réflexion qui m’échappait mais la décision : c’est-à-dire que moi, j’étais contre mais ça s’est fait quand même. » [7]

Satan, cimetière de Changé, Mai 1973

Au-delà de son nom, c’est aussi l’image du groupe qui se trouve radicalement changée avec l’adoption du nom Satan. « Je comprenais bien pourquoi on changeait de nom, parce qu’effectivement Satan, ça sonnait bien, etc, mais je n’aimais pas cette idée de religion ou d’anti-religion, quel que soit le bout par lequel on le prenne » [8] « […] Ça nous permettait un peu de fouiller le côté visuel de notre spectacle, avec l’aspect parapsychologie, on avait fouillé ce côté marginal qui ressortait. » [9] Cette imagerie va se développer à plusieurs niveaux, tout d’abord sur le plan scénique. Le groupe va en effet agrémenter sa présentation scénique de quelques accessoires destinés à illustrer visuellement quelques-unes des multiples dimensions suggérées par le nom Satan. Ainsi, Sam et Jérôme arboreront des maquillages, tandis que Macson se produira couvert d’une grande cape. Kick’s, quant à lui, jouera la sobriété : « A un moment on s’est dit « tiens, on va se mettre des soutanes, ça va être rigolo » mais enfin bon… Moi je trouvais que ça se barrait dans des directions nulles, j’aimais pas du tout cette idée-là. » [10]

Satan, cimetière de Changé, Mai 1973

Le groupe repense également sa communication et fait réaliser une série de photos destinées à intégrer son nouveau dossier de presse. Les cinq musiciens se retrouvent donc au cimetière de Changé (Sarthe), et posent pour une demi-douzaine de clichés pour le moins surprenants. En effet, le groupe ne semble pas particulièrement à l’aise au milieu des croix et des pierres tombales. Même si Jérôme semble s’amuser à faire le clown en posant avec un crucifix, on lit le malaise sur le visage de ses compagnons qui ont bien l’air de se demander ce qu’ils font là… « On était maquillés, fardés, à faire des têtes de méchants ! Franchement on était tous assez beaux gosses, alors aller essayer d’aller jouer aux gros méchants… Bon, à part Macson, qui avait un peu un look à la Zappa, on était de bons garçons, gentils et tout… Je n’aimais pas cette image, le côté noir. » [11] La nouvelle affiche du groupe reprendra l’une des photos réalisées lors de cette séance. On y voit Macson, Kick’s, Sam, Miror et Jérôme, rassemblés autour d’un caveau. Les regards sont maussades, et tout particulièrement celui de Jérôme, assis sur la stèle, les poings serrés. Le dossier de presse constitué par Yves Tribaleau va même encore plus loin. Comme sous-titre au nom du groupe, on peut lire « Satan : esprit tentateur, prince des démons, dieu des ténèbres, roi de la folie méchante. Je prends sur moi tout le mal qui se fait et le restitue à ceux qui veulent m’entendre ; je suis cinq musiciens et je veux que l’on m’écoute car j’ai beaucoup à dire ; ma musique est la tienne et par moi tu t’exprimes. » Effet garanti dans les rédactions de la presse sarthoise de l’époque … Toujours est-il que les membres du groupe ne partagent pas vraiment les options de leur manager quant à la promotion de leur musique. « Franchement, l’affiche dans le cimetière, ça m’a moins choqué ; ce que je trouvais dommage à l’époque, c’était cette mainmise de la part d’un management qui, finalement, s’est révélé pas très efficace et qui nous a imposé des choix qui, je trouve, ne convenaient pas tellement à la musique qu’on faisait. C’était un peu un déguisement, il fallait se déguiser soit en Bowie ou Bryan Ferry, soit faire un peu l’anti-Ange, mettre des toges ou des soutanes… Je crois qu’il fallait trouver un nom qui frappe, qu’on puisse le lier à un look qui frappe aussi, c’était vraiment une réflexion marketing, mais ça n’était que ça, à mon avis. Malheureusement ça n’était pas assez lié avec le contenu artistique. » [12] Yves Tribaleau reconnaît aujourd’hui : « Ça n’était pas forcément la bonne démarche. Ce n’était pas sur le plan musical, c’était juste en termes d’image, c’était plus en termes de vente, de marketing, on dirait ça aujourd’hui. Pas du tout au niveau du contenu musical. » [13]

« A un moment, on s’est dit « Tant pis, ça s’appelle Satan, c’est décidé, les affiches sont prêtes… » [14] Les fameuses affiches du cimetière de Changé commencent en effet à fleurir sur les murs. Celles-ci n’indiquent plus les contacts du manager du groupe, mais celles de son guitariste. En effet, Yves Tribaleau quitte le groupe en septembre 1973, pour des raisons qui diffèrent selon les versions. Selon l’intéressé lui-même, son départ serait motivé par des divergences d’ordre artistique avec le groupe. Pour les musiciens, il s’agit plutôt d’un désaccord sur leur management et la gestion de leur carrière, à l’image du changement de nom du groupe, qu’ils ont plutôt mal vécu. Quoi qu’il en soit, la raison première du départ d’Yves Tribaleau s’explique très simplement. Arrivé au terme de ses études à l’Ecole Normale, il décide de se consacrer définitivement à l’enseignement, parallèlement à des activités militantes.

Jean-Louis Briand, 1er trimestre 1973

A la rentrée scolaire 1973, Miror quitte lui aussi le groupe, pour des motifs sensiblement similaires. « Cette expérience [le changement de nom, NDA] a eu de l’influence sur Yves, qui a senti qu’il y avait là une possibilité de sortir de l’amateurisme, ce que voulaient Macson, Sam et Kick’s, d’ailleurs. Macson a décidé très tôt qu’il ne serait jamais enseignant, tout comme Kick’s. Mais on sentait aussi qu’on allait mettre le doigt sur un truc qui nous dépassait un peu. C’est un moment où j’avais besoin de repères après l’armée. J’aimais vraiment ce qu’on faisait, mais l’enseignement m’intéressait aussi beaucoup. Il fallait choisir. Et puis j’avais une copine à Paris, j’ai décidé de partir là-bas. » [16]

Ainsi, comme semblait le prophétiser le Maine Libre quelques semaines plus tôt, 1973 se révèle bel et bien « une année de choix et d’interrogation ». En l’espace d’un été, le groupe aura connu une mutation impressionnante : il change d’abord de nom, adopte une image radicalement nouvelle, perd son chanteur, se sépare de son manager et devient quatuor. C’est par conséquent une formation résolument autre qui entame la seconde moitié de l’année 1973.

Satan, Festival de Bellême, Juin 1973

On a tout de même pu découvrir ce qu’est la nouvelle orientation du groupe en tant que Satan, lors du festival « Pop-Life » qui s’est tenu à Courthioust, dans le canton de Bellême, le week-end du 28 au 30 juin. Cet événement, qui a connu son prélude lors d’une préchauffe à la Halle au Boudin de Mortagne le mois précédent, est une véritable réussite. Installé au milieu d’immenses champs des collines du Perche, le festival propose des concerts, mais aussi un ciné-théâtre, des expositions de photos, de peinture et d’artisanat. Quelque deux mille jeunes, venus de Normandie, de Sarthe, de Mayenne ou même de Paris, sont accueillis à bras ouverts par le prêtre du canton (qui organise le festival !), les cultivateurs (qui prêtent leurs champs !) et même le maire du village de Colonart-Corubert ! Cette bienveillance étonne et réconforte même, quand on sait les difficultés connues à cette époque par les organisateurs de festivals pop en France. La programmation musicale est également intéressante, alternant artistes folk, groupes pop, jazz, free-jazz et chanson française. Cette affiche se révèle même rétrospectivement assez prestigieuse, avec la programmation d’artistes significatifs tels que Valérie Lagrange, Philippe Val, Anne Vanderlove ou Denis Wetterwald. En ajoutant à tout cela une ambiance bon enfant et une météo ensoleillée, on obtint très logiquement un très bon festival. La semaine suivante, un quotidien local évoquera la manifestation avec un enthousiasme certain : « Au pays de la mesure et même d’un certain conformisme, des jeunes, par centaines, sont venus durant deux jours communier dans la religion supersonique et « franchir le mur de la raison ». […] Deux jours loin du monde super-organisé où il faut désormais attacher sa ceinture pour la sécurité. Un monde qui s’inquiète toujours de voir à côté de lui vivre des groupes différents. Comme un Pop Life. » [17] Dans la programmation pop du festival, on retrouve deux formations mancelles, Kyste et Satan, qui commencent à bien se connaître après quelques affiches communes. Si le passage de Kyste se déroule sans incidents, celui de Satan débute sur une panne de sonorisation. Alors que son équipement le lâche, le groupe doit faire patienter le public, pendant que Gus s’affaire sur le matériel récalcitrant. Quelques soudures concluantes plus tard, Satan débute réellement son concert et obtient un franc succès. Lors de son passage, le groupe interprète « Prologue », « Solitude », « O.S. », « La Nuit Liberté », « L’Enfant Triste », « Démence », « Le Point de Non-Retour », « La Chasse Royale », « Le Fou », « Chienne de Vie », pour terminer sur « Rock Your Mama ». Il existe quelques photos de cette journée. L’une d’entre elles, magnifique, montre Jérôme et Sam lors du soundcheck. Sur une autre, prise lors du concert, un Miror assis se déchaîne sur des derboukas, tandis qu’évolue à ses cotés la silhouette filiforme de Sam, étrangement grimé (les fameux maquillages) et le torse nu, orné d’une mystérieuse peinture représentant un trident. Derrière ses claviers, Jérôme, lui aussi maquillé, semble littéralement possédé.
Satan, Festival de Bellême, Juin 1973

C’est lors du festival de Bellême que l’on découvre une attraction peu commune, Thomas & Rouillon. Derrière ce nom se cache un duo folk, et deux amis du groupe. Pierre Thomas, surnommé Tom’s, connaît bien la bande de Heaven Road depuis l’époque de l’EN. Il a fait la rencontre du groupe en 1969 à la Maison Sociale du Mans, lors d’un concert auquel il participait lui-même avec la formation les Spirit’s, dont il était le chanteur plus ou moins attitré. Depuis, il suit régulièrement le groupe lors de ses concerts, et fait même partie du cercle de ses proches. Avec son ami Dominique Rouillon, grand féru de blues, il a monté un duo de guitares acoustiques, Framus Texan 6 et 12 cordes pour Tom’s, Fender 12 cordes pour Rouillon. Leur répertoire, qui a commencé à se constituer au début de l’année 1973, fait la part belle aux reprises de standards blues que les deux compères affectionnent, comme « You Don’t Love Me » ou « I’m A King Bee », mais emprunte également quelques titres aux Rolling Stones (« Play With Fire », « Honky Tonk Women ») ou à Chuck Berry (« Around & Around », joué dans un esprit bluesy très roots). Mais ce qui fait la particularité des concerts de Thomas & Rouillon, ce sont leurs compositions originales, entre chanson traditionnelle et folk, sur des textes oscillant entre le folklore rural et le détournement de thèmes publicitaires, de fables de La Fontaine (le tordant « La Cigale et la Fourmi ») ou de chansons d’autres auteurs (comme « Le Petit Requin », désopilant démarquage de « La Baleine Bleue » de Steve Waring). A l’occasion d’un concert au cinéma Le Club le 18 décembre 1973, un article de Mayenne 7 Jours fera d’eux la description suivante : « […] Thomas et Rouillon, des gars de la Sarthe ; un tandem fait de contrastes : Thomas, le petit gros moustachu, qui crie comme un matou en chantant le blues de Fleetwood Mac, acérant ses griffes sur sa guitare aux sons imprégnés de tristesse ; Rouillon, infiniment grand et maigre, aux cheveux longs, portant lunettes et qui compose les chansons, évoquant le folklore celte et le terroir sarthois (« un brave campagnard s’en va à la ville ») en s’inspirant de la musique médiévale » [18] Jean Théfaine, qui assiste également à cette soirée, remarquera : « Thomas et Rouillon […] ont le blues chevillé au corps. Je ne sais pas d’où ils nous arrivent, mais ce qu’ils font mérite l’attention. Techniquement, ce n’est pas mauvais du tout et le chanteur copie ses maîtres avec une certaine réussite. » [19] Pour en revenir au festival de Bellême, la participation du duo se fait donc à la faveur des défaillances du matériel de Satan. Les deux compères se trouvent dans le public ; ils sont venus pour voir Satan mais aussi dans l’espoir de s’inviter spontanément dans la programmation du festival. Cette deuxième option s’est révélée vaine, mais alors que Gus s’attaque à la réparation in extremis des amplis en panne, Lulu monte sur scène et décrète : « Tom’s, Rouillon, c’est à vous ! ». S’ensuit alors une bonne partie de rigolade, les deux compères « en flagrant délire » se lançant notamment dans une chronique hilarante du feuilleton politique et social de cet été 73, à savoir le mouvement de grève des ouvriers de l’usine Lip à Besançon, qui relance le débat sur l’autogestion.

De droite à gauche : Tom's et Rouillon, 1974

Si l’on a vu que 1973 était pour Satan une année de choix, d’interrogations et de changements, elle est plus que jamais placée sous le signe d’un travail acharné. Récemment installé dans une nouvelle fermette à Mézières-Sous-Lavardin, le groupe a retrouvé son rythme effréné marqué par les répétitions, la composition de nouveaux thèmes et arrangements, la conception de nouveaux effets scéniques. Chaque membre du groupe s’investit corps et âme dans le groupe, dont la dynamique s’est trouvée elle aussi transformée par les mutations de l’été précédent. De par son effectif réduit, Satan se découvre un nouveau fonctionnement, dans lequel le processus créatif, s’il est commun et démocratique, se concentre tout de même entre Jérôme et Macson, principaux compositeurs du groupe. Jérôme, qui n’a jamais caché son goût pour les sciences occultes (et en particulier le spiritisme), semble s’investir plus que les autres dans la dimension mystérieuse de Satan. Une atmosphère étrange se mêle parfois à la vie du groupe. La légende veut qu’un soir à la ferme, quelqu’un retrouvât dix allumettes brûlées plantées dans le beurre ; possible manifestation de l’esprit de Satan…

La vie à la ferme, circa 1973

Au-delà de ce type d’anecdote qui prête à sourire, le groupe va connaître à cette époque une situation particulière qui ne sera pas sans lui causer quelque préjudice. Il s’agit de ce que Kick’s appellait quelques lignes plus haut « l’anti-Ange ». On a vu que depuis quelques mois, Heaven Road / Satan a commencé à entrevoir de nouvelles possibilités artistiques. Les thèmes développés dans les compositions du groupe trouvent souvent leur source dans l’onirisme, évoquant les mondes du rêve (« O.S. »), de la folie (« Démence »), parfois du surnaturel (« O.V.N.I. »). D’autres évoquent la fuite (« Le Point de Non-Retour », « Histoire D’Un Espoir »), avec toujours une grande emphase, voire un certain pathos, qui font ressortir la dimension dramatique des textes et soulignent l’expressivité de la musique. A partir de ces univers, le groupe a l’idée de développer un spectacle qui s’inscrira dans l’esprit de ses compositions, afin de les illustrer, pourquoi pas les matérialiser sur scène. C’est dans cette optique qu’arrivent, dans un tout premier temps, les maquillages et costumes, qui font sortir les membres du groupe de leur simple statut de musicien, leur apportant un certain charisme supplémentaire. A cette époque, l’intérêt de Satan pour les techniques de la scène et du spectacle n’est pas isolé : en Angleterre, David Bowie ou Peter Gabriel (Genesis) travaillent déjà dans cette direction. En France, l’idée a été reprise et adaptée par Christian Décamps, leader du groupe Ange qui représente la référence première en matière de rock progressif symphonique à la française. Et Satan, comme toutes les formations françaises évoluant justement dans ce genre musical, sera ainsi systématiquement (et injustement) comparé à Ange, malgré qu’il n’existe que peu de similitudes entre les deux groupes. Ce malentendu est en fait surtout causé par leurs noms-même : beaucoup suspecteront le groupe manceau d’avoir choisi son nouveau nom en fonction de celui de Ange, dont il représente une possible antithèse. On ne peut d’ailleurs totalement écarter l’hypothèse qu’il y ait eu une volonté de se positionner par rapport à Ange en adoptant ce nom de Satan. Mais cette ressemblance s’ajoute à celles qui existent déjà entre les deux groupes, en termes de style musical, d’inspiration et de son. Et pour une partie du public ou de la critique qui n’a pas envie d’aller chercher plus loin que ces aspects de surface, ça fait déjà trop.

Jérôme Lavigne, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973

Mais l’on peut tout aussi bien tenter de comprendre ce qui distingue Satan de Ange. Tout d’abord, le niveau instrumental : en effet, à l’exception de l’extraordinaire vocaliste qu’est Christian Décamps, Satan n’a absolument rien à envier à Ange dans ce domaine, ses musiciens faisant preuve de qualités d’instrumentistes égales voire peut-être supérieures. Ensuite, les sources d’inspiration des deux groupes, si elles ont en commun l’onirisme, se révèlent tout de même bien différentes. Alors que l’univers de Ange est très marqué par le fantastique, le médiévisme et les traditions rurales, celui de Satan témoigne d’influences peut-être moins particulières, mais tout aussi déterminantes, comme celle de la littérature. Peut-être faut-il y voir un rapport avec le fait que les musiciens de Satan soient d’anciens étudiants, toujours est-il que leur musique fait régulièrement référence à des œuvres ou des auteurs bien spécifiques. Le meilleur exemple de cette source d’inspiration est l’une des nouvelles compositions du groupe, sur laquelle celui-ci aura travaillé d’arrache-pied durant une grande partie de l’année 1973.

Christian Savigny, 1er trimestre 1973

Cette composition s’appelle « La Nuit des Temps » et doit son titre au roman du même nom, écrit par René Barjavel et qui s’est vu décerner le Prix des Libraires en 1968. Cet ouvrage se révèle d'une importance considérable dans le contexte littéraire de l'époque, à plusieurs titres. Tout d'abord pour son caractère novateur, puisqu'il mêle plusieurs genres, tels la fiction et le reportage. Ensuite pour son thème, qui passionnera plusieurs millions de lecteurs, et qui s'inscrit parfaitement dans le courant de la science-fiction, très populaire à cette époque où sort également un autre chef d'œuvre du genre, le film "2001 : A Space Odyssey" de Stanley Kubrick. "La Nuit des Temps" raconte l'histoire fascinante de la découverte d'une civilisation d'un autre âge, enfouie au fond des glaces depuis 900 000 ans, et à l'origine de l'humanité suite à une guerre atomique. Il semble que l’idée d’adapter le livre en musique soit d’abord venue de Miror, mais elle rencontrera l’enthousiasme des autres membres de Heaven Road. Ceux-ci se lanceront alors dans la construction de plusieurs thèmes musicaux qui seront ensuite agencés de façon à constituer une sorte de fresque cohérente. « On a repris la trame de ce roman de Barjavel et, comme on fait un film, on a fait une musique, voilà. » [20] D’une durée avoisinant les dix minutes, « La Nuit des Temps » témoigne de la capacité des musiciens à collaborer dans un processus créatif, avec la mise en commun d’idées, selon la dynamique inaugurée deux ans auparavant avec « Soleils Couchants ». Et le résultat s’inscrit parfaitement dans l’état d’esprit du rock progressif de l’époque et de la dimension architecturale de ses modes de composition. « On a mis ça en relation avec différents thèmes qui devaient déjà exister, et après on a commencé à travailler sur le côté image. Image sonore, puis image visuelle, mais d’abord image sonore. » [21] Cette notion d’image ainsi évoquée par Kick’s n’est pas anodine dans la démarche créative de Satan, qui est orientée vers une approche très particulière de la composition. Satan, qui n’ignore pas les difficultés de la langue française à s’imposer de façon crédible dans le domaine de la pop-music, se confronte comme beaucoup d’autres à la question d’écrire des textes significatifs en français. Et si leurs textes (principalement dus à Macson) sont dans l’ensemble intéressants, les membres du groupe contourneront ce problème en privilégiant le langage instrumental, pour exploiter au maximum son potentiel d’expressivité. Ainsi, prolongeant la démarche qui avait abouti à la création d’un thème comme « O.S. », la musique de Satan se distinguera par sa grande puissance de suggestion et d’évocation dans ses peintures instrumentales. « […] C’était un petit peu la façade de ce qu’on voulait faire, c’est-à-dire, une musique d’une part visuelle et d’autre part très représentative d’un scénario, d’un concept, c’était comme un film, en fait […] » [22] Cette approche se révèle être très stimulante pour le groupe : « Ça me transportait, ça avait une signification particulière. On travaillait comme si on faisait de la musique de film ; j’ai toujours rêvé de faire de la musique de film, je me souviens de ça. » [23] Enfin, il est amusant de noter que René Barjavel avait initialement conçu « La Nuit des Temps » comme le scénario d'un film de science-fiction, suite à une commande du réalisateur André Cayatte. Le projet ne verra en fait jamais le jour, pour des raisons financières. Barjavel pouvait-il se douter alors que son ouvrage serait adapté cinq ans plus tard par un groupe de rock ?


Richard Fontaine, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973

Si Satan commence à définir des choix esthétiques très personnels pour sa musique, « La Nuit des Temps », par sa construction et ses arrangements, rappelle inévitablement quelques grands noms de l’underground progressif britannique. Par exemple, la première partie du morceau évoque le romantisme cosmique du Pink Floyd d’avant « Dark Side Of The Moon » ; l’une des illustrations de son influence manifeste sur le groupe manceau réside dans cette capacité à figurer en musique l’immensité, les grands espaces, à partir de thèmes très simples mais aux qualités presque allégoriques. Cette qualité commune n’est pas surprenante outre mesure, si l’on se réfère à l’intérêt considérable porté par Satan à la musique de film, alors que le Pink Floyd est notamment réputé pour ses illustrations sonores du cinéma underground (« More » et « La Vallée » de Barbet Schroeder, « Zabriskie Point » de Michelangelo Antonioni). Si les battements de cœur de l’introduction évoquent immanquablement les premières secondes de « Dark Side Of The Moon », l’inspiration floydienne se retrouve aussi dans les phrases de guitare de Macson, aux accents gilmouriens descendus en droite ligne de « Echoes ». Et tout comme le guitariste de Pink Floyd, Macson fait d’abord parler le feeling avant la technicité. La seconde partie de « La Nuit des Temps » est moins planante et plus aventureuse, marquée par une série de thèmes d’écriture relativement complexe, qui évoquent cette fois le Genesis du « Return Of The Giant Hogweed ». Enfin, le dernier thème du morceau est dominé par une ravissante mélodie et offre une conclusion émouvante, un final puissant. Satan présente « La Nuit des Temps » au public manceau lors de son spectacle de rentrée à la Salle des Concerts le vendredi 14 septembre ; ce thème deviendra dès lors son cheval de bataille, un passage obligé, attendu par le public à chacun de ses concerts. Le 22, le groupe effectue un nouveau passage au Golf Drouot, présentant au public parisien ses dernières compositions et son nouveau spectacle.

Au mois d’octobre, la MJC Le Mans-Centre organise un grand festival de musique populaire de trois jours qui se tient sous chapiteau, avenue François Chancel. La programmation est très éclectique, puisque l’événement accueille des groupes folkloriques bretons le 27, et des artistes pop, folk et blues les deux soirs suivants. Satan se produit dans la soirée du 28 octobre, à la même affiche que Thomas & Rouillon (filmés par FR3), Mona Lisa, Bill Deraime, Yvon Roussel, Jean Leguay et Bouzouki. La presse salue le courage de la MJC Le Mans-Centre qui a organisé cet événement alors qu’elle connaît à cette époque de grandes difficultés financières. Pour cette raison, les artistes ne percevront aucun cachet mais seront défrayés pour leurs séjours et déplacements. La manifestation connaît un succès certain, et l’on parle alors de nouveau départ pour la MJC.

Satan, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973

Le 30 novembre, Satan retrouve la Salle des Concerts du Mans pour présenter au public manceau son nouveau spectacle. La première partie est assurée par Denis Wetterwald, que Satan a rencontré l’été précédent lors du festival « Pop Life » de Bellême. Le concert est organisé par une association loi 1901 du Mans qui vient tout juste de se constituer. Celle-ci répond au doux patronyme de Peoria, certes le nom d’une ville de l'état américain de l'Illinois, mais aussi et surtout d’un morceau issu de l’album live « Earthbound » de King Crimson , paru en 1972. Avec d’aussi saines références, voilà une association qui promet d’être intéressante !

Peoria voit le jour le 9 novembre, par la volonté de quatre amis qui souhaitent réagir face à la rareté persistante des manifestations musicales rock, jazz ou de style contemporain sur Le Mans. Dans un de leurs premiers communiqués à la presse, ils font le constat suivant : « L’individu est réduit, mancellement et mensuellement, à ne recevoir que sa ration, sa pâtée divertissante, la petite bouffée d’un plaisir désuet et […] fort peu conséquent (Cornes de Clocheville, Mousquevents au Scooter, Trucs Z’en plumes ou à poil, Claudel et ses Claudettes, etc…etc…) ; les tentatives qui voudraient contribuer à une activité réelle accusent maintes difficultés, fléchissements… La MJC Pasteur, faute de crédits, est en train de s’éteindre. Autre effort contrarié : celui du Pâtis [petit cinéma de la rue d’Eichtal, dans le quartier du Pâtis Saint-Lazare, NDR] qui, tout en poursuivant son programme « art et essai », a informé les cinéphiles, depuis un certain temps déjà, de son manque de moyens, et s’est vu contraint de « varier » un peu plus ses affiches (introduction de films à succès). » [24]

L’objectif de Peoria est donc de promouvoir les musiques nouvelles (rock, jazz contemporain, free-jazz, musique concrète, recherche électro-acoustique) en organisant sur Le Mans des concerts d’artistes d’avant-garde, en mobilisant le public manceau sur une certaine forme de réflexion sur la culture. L’association entend également apporter une aide, un accompagnement, aux groupes locaux expérimentaux et méconnus, et proposer à long terme d’autres types de spectacles (théâtre, cinéma). La démarche de Peoria s’inscrit dans une dimension culturelle militante que l’on retrouve dans les initiatives d’autres associations telles que Aspekt (Orléans), dans le sillage du Rezo Zero, le premier circuit d’action culturelle parallèle en France, et dont la coordination est assurée par Annecy Jazz Action. Afin de monter leur association dans les meilleures conditions, les membres de Peoria ont même pris contact au préalable avec Giorgio Gomelsky, légendaire manager des Yardbirds et des Rolling Stones aux jours du Crawdaddy Club de Richmond, et qui en 1973, gère les affaires de Magma. Celui-ci leur prodiguera notamment de précieux conseils concernant le fonctionnement des associations à but non lucratif, en termes de droit juridique, de fiscalité, de comptabilité, ou de droits d’auteurs.


Richard Fontaine, 1er trimestre 1973

Dès la constitution de l’association et sa déclaration en préfecture, Peoria organise donc son concert de lancement, dont Satan et Denis Wetterwald se partagent l’affiche, le 30 novembre à la Salle des Concerts. Le spectacle est censé répondre à quatre objectifs : un départ efficace financièrement, artistiquement convaincant, qui apporte quelque chose de nouveau et qui s’inscrive dans la logique du projet « contre-culturel » de l’association. Pourtant, le choix de Satan pour ce concert de lancement suscite une polémique au sein de l’association : l’un de ses membres craint de s’écarter du cahier des charges que Peoria avait établi, en termes d’exigences artistiques. Dans un courrier qu’il adresse à ses compagnons, il décrit Satan comme « un groupe « moyen », qui a bien digéré techniquement et assumé les stéréotypes (par exemple, le truc décadent) » [25], mais « qui n’a rien de nouveau dans le département, ni rien de novateur non plus » [26].

On peut légitimement s’étonner de voir Heaven Road / Satan ainsi pris en défaut d’originalité et d’innovation, alors qu’il s’agit justement d’une des seules (pour ne pas dire la seule) formations rock locales qui aient fait le choix d’expérimenter des formes d’expression musicale relativement nouvelles et exigeantes. Peut-être faut-il voir là une manifestation du snobisme qui agite à cette époque une certaine frange du public, pour lequel il n’y a point de salut hors des formes extrêmes de l’avant-garde (free-jazz, musique concrète). Ceci viendrait également contredire la fameuse réputation d’« intello » de Heaven Road / Satan…

Quoi qu’il en soit, le concert remportera un assez beau succès, puisqu’il rassemblera plus de deux-cents spectateurs dans la petite Salle des Concerts. Peoria s’en tirera avec un déficit – raisonnable – de trente francs, mais ne se découragera pas. En effet, l’association annonce aussitôt à la presse qu’elle ambitionne de programmer sur Le Mans des formations comptant parmi la fine fleur de l’underground progressif français, Contrepoint, Troc, Zao, Magma ou Gong ! Et effectivement, Peoria tiendra ses promesses et organisera, sur la première moitié de l’année 1974, la venue au Mans de Zao (le 10 janvier 1974), Gong (8 février) et Nucleus (11 avril). Peoria prendra même un sacré bouillon à l’occasion de l’annulation d’un concert de Magma, programmé à la date du 6 avril au Théâtre Municipal, mais suspendu pour cause de deuil national suite au décès de Georges Pompidou. Parallèlement, Peoria jouera durant quelques mois un rôle d’agent pour Satan, lui décrochant quelques engagements intéressants dont nous reparlerons.

André Beldent, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973

Lors de ce concert du 30 novembre, Satan présente au public manceau quelques-unes de ses nouvelles compositions. Celles-ci se situent encore dans un registre fortement empreint d’onirisme, à l’image de « Cauchemar », dont le texte est une petite merveille :

Sa bouche de feu étrangle ma vie
Sous ses dents de lumière je me sens tout petit
Est-ce un homme, une femme qui croque ainsi mon cœur
Ou bien quelque machine, monstre venu d’ailleurs ?
Lorsque le silence revient
Je suis là, je ne comprends rien
Tout tourne autour de moi
Et je te vois…

Tu approches de moi, irréelle beauté
Tu me parles tout bas, et puis tu disparais
Je vois dans un miroir ce qui reste de moi
Une ombre triste et noire, l’ombre de mon effroi
Dans une aveuglante clarté
J’ai peur, je ne sais où aller
Et puis soudain le noir se fait
Je me réveille.

Satan, Salle des Concerts du Mans, 14 septembre 1973

A cette époque, Satan crée sur scène une autre composition importante, « Le Voyage », qui résume assez bien la vision musicale de Jérôme, fortement influencée par le courant progressif symphonique. Au lieu d’une construction classique avec couplets et refrain, la structure explore un déroulement inhabituel, avec une succession de thèmes variés, dont la particularité réside dans la diversité des climats et des ambiances. Plus encore que « La Nuit des Temps », « Le Voyage » témoigne de l’influence de ce rock progressif britannique (Genesis, Yes, Gentle Giant), par ses audaces et sa fougue, avec ses ruptures de rythme et ses développements alambiqués. Les textes sont eux aussi très intéressants, consacrant avec assez de bonheur la rencontre de l’épopée et de la science-fiction, sur une série d’images poétiques très évocatrices, même si l’ensemble n’est pas exempt d’une certaine naïveté. Avec « Le Voyage », Satan dresse le premier portrait d’un héros picaresque, le passeur de temps, qui illustre cette fascination des membres du groupe pour le thème de la temporalité, qui se trouvait déjà à la base de « La Nuit des Temps » et que l’on retrouvera plus tard dans une composition comme « L’Aigle ». Comme chaussé de gigantesques bottes de sept lieues, le héros passe d’une époque à l’autre, d’un monde au prochain, toujours sur le mode de la rupture. Lassé de sa vie sur Terre, le voyageur s’embarque pour un périple dans l’espace, au terme duquel il fera la découverte d’une planète enchanteresque, avant de regagner la Terre en proie à l’apocalypse du monde du futur. Les vocaux de Macson, emphatiques et dramatiques, sont dotés d’une puissance et d’une force de conviction assez rares, contrastés par les harmonies vocales de Jérôme, Kick’s et Sam. « Le Voyage » correspond en tous points à la description que donne à l’époque Satan de sa musique, « […] très personnelle, tantôt agressive, tantôt douce, faite de violence et de beauté. » [27]


Satan, sur les planches Golf Drouot, 14 décembre 1973

Le vendredi 14 décembre, Satan retrouve la scène du Golf Drouot à l’occasion du Super Tremplin, parrainé par la revue spécialisée Extra. En compétition avec les cinq autres « meilleurs groupes amateurs du moment » Climats (Nord), Tangerine (Nice), Novalis (Chantilly), Apocalypse (Paris) et Quatre Vents (Meudon), Satan remporte la palme à l’unanimité du jury. Extra fait le compte-rendu suivant : « Satan l’emporta grâce aux qualités évidentes de son chanteur et de ses musiciens qui réussirent à ne pas lasser les spectateurs. Satan joue une musique personnelle inspirée des « grands planants ». Néanmoins, il reste beaucoup de chemin à ces musiciens avant d’atteindre les étapes supérieures de ce métier. Le travail devrait pouvoir donner à Satan une certaine solidité, qui effacerait ses péchés de jeunesse. » [28] Le groupe est invité à recevoir son prix lors d’un cocktail le jeudi 20 décembre, toujours au Golf Drouot, et gagne également un orgue offert par la firme Farfisa. « Après le tremplin, on avait été à Paris, on avait été accueillis par la presse, on pensait que c’était parti, on y croyait. » [29]

Satan, début 1974



[1] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[2] Jean-Louis Briand, mail 05/01/05
[3] coupure de presse non-référencée
[4] Maine Libre, 13/06/73
[5] Yves Tribaleau, interview 24/03/04
[6] Jean-Louis Briand, interview 24/03/04
[7] Christian Savigny, interview 25/03/04
[8] Id.
[9] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[10] Christian Savigny, interview 25/03/04
[11] Jean-Louis Briand, interview 24/03/04
[12] Christian Savigny, interview 25/03/04
[13] Yves Tribaleau, interview 24/03/04
[14] Christian Savigny, interview 25/03/04
[15] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[16] Jean-Louis Briand, interview 24/03/04
[17] coupure de presse non-référencée
[18] Mayenne 7 Jours, 29.12.73
[19] Ouest-France, 21.12.73
[20] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[21] Christian Savigny, interview 25/03/04
[22] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[23] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[24] Communiqué de presse association Péoria, date inconnue (3ème trimestre 1973)
[25] Archives association Peoria (3ème trimestre 1973)
[26] Id.
[27] Maine Libre, 30/11/73
[28] Extra n°39, 02/74
[29] Richard Fontaine, interview 23/03/04

mercredi 10 septembre 2008

jeudi 26 juin 2008

Heaven Road / 3ème épisode : 1972


Le bateau partait au loin
Portant les espoirs de ces gens
Qui ne savaient pas
La course fatale du temps
Qui jamais ne s’arrête
Vend un monde toujours pire
Où les gens paient de leur espoir

Nul récif ne pourra jamais arrêter
Ce lourd vaisseau poussé par le souffle divin
Les générations sont des îles éphémères
Qui s’engloutissent tour à tour au fond des flots

(Histoire d’un Espoir, 1972)


Le 29 janvier 1972, Heaven Road est programmé par la MJC de Château-du-Loir dans le cadre de la traditionnelle « Chandeleur des Jeunes ». Cette sympathique manifestation existe depuis une dizaine d’années déjà, et consistait à l’origine en une « confrontation » de sept à huit groupes. Depuis la fin des années 60, les organisateurs préfèrent concentrer la soirée sur une formule de deux concerts seulement. Et après Martin Circus en 1971, la MJC frappe fort avec une tête d’affiche des plus sensationnelles : Magma ! Au début de l’année 1972, Magma n’a pas encore sorti son chef d’œuvre « Mëkanïk Destruktïw Kommandöh », ni connu son heure de gloire au Festival de Reading. Emmené par son leader-fondateur, le charismatique batteur Christian Vander, Magma est un groupe atypique, au langage musical alors en parfaite rupture avec le paysage de l’époque, mélange de rock, de jazz coltranien, de musiques des pays de l’Est, marqué par Stravinski autant que par Miles Davis. Mais au-delà de son originalité musicale (au demeurant intéressante), Magma est surtout connu pour son « folklore ». En effet, le groupe se démarque radicalement de l’univers caractéristique de la pop-music en rejetant flower-power, pacifisme, drogues et utopies. A ces références, Magma oppose un ésotérisme totalitaire, une esthétique austère, un discours délibérément hostile, une mythologie volontairement violente et malsaine. Hors du contexte d’une œuvre qui se révèlera par la suite incroyablement ambitieuse et novatrice, engendrant tout un courant musical connu sous le nom de « zeuhl », la démarche de Magma apparaît véritablement déconcertante. Particulièrement lorsque ses musiciens débarquent sur les scènes de province, tout de noir vêtus, arborant un sigle sur la poitrine et discourant uniquement en kobaïen, langage inventé par Vander et dont les consonances germanisantes entretiendront longtemps une série de malentendus sur la philosophie du groupe… Mais Vander et ses sbires ont beau s’autoproclamer kobaïens, ils n’en restent pas moins parisiens, et adoptent une attitude en conséquence vis-à-vis des groupes et du public de province (qui le lui rend assez bien, d’ailleurs…) Le contact entre Heaven Road et Magma ne sera guère chaleureux. « Ils ont fait preuve d’un vrai mépris vis-à-vis de notre petit matériel et de façon plus générale pour nous, le groupe de province. » [1]. « On est arrivé dans la salle, et il [Vander, NDA] était là, il jouait du piano, comme un cinglé… Pas moyen de l’en déloger ! (rires) » [2]. Heaven Road fait un passage sans histoire et emporte l’adhésion du public mais Magma, devant une salle pourtant comble, ne daigne même pas jouer le temps prévu dans son contrat. « Ça a été toute une histoire pour qu’ils veuillent bien monter sur scène » [3]. Aussi, à la demande des organisateurs, Heaven Road remonte sur scène et exécute un ultime set pour terminer la soirée. Ce qui ne sera d’ailleurs pas sans susciter l’incompréhension d’une partie de l’assistance, non-informée des tensions qui se jouent en coulisses.

Heaven Road fait une rencontre beaucoup plus rassurante lors d’un nouveau passage au Golf Drouot, le 4 février. Il partage l’affiche avec un tout nouveau groupe parisien, Il Etait Une Fois, qui fait ce soir-là sa première apparition devant le public du Golf. Néanmoins, ses musiciens ne sont pas pour autant inexpérimentés, puisque le chanteur-batteur Richard De Witte a accompagné Michel Polnareff et l’excellent guitariste Lionel Gaillardin a travaillé avec le bluesman Memphis Slim, tandis que le guitariste-chanteur Serge Koolen est un véritable pilier du Golf Drouot, où il s’est produit à de très nombreuses reprises avec des formations légendaires telles que Piteuls, les Jelly Roll ou encore les Bain Didonc. La musique d’Il Etait Une Fois s’inspire de la pop anglaise mélodique mais aussi du folk-rock californien, et détonne dans l’univers underground de la pop-music française. Les premiers disques d’Il Etait Une Fois vont connaître quasi-instantanément un très grand succès auprès du public des yé-yé, ce qui va orienter la carrière du groupe vers une variété insipide (culminant avec le méga-tube « J’ai Encore Rêvé d’Elle » en 1975). Macson remarque a posteriori : « Je me souviens de la première prestation de Il Etait Une Fois au Golf Drouot […] et Best ou Rock & Folk faisait le compte-rendu de la soirée. Il Etait Une Fois avait fait la première partie de Heaven Road, et donc sur le compte-rendu ils mettaient : « Des petits nouveaux, ça s’appelle Il Etait Une Fois, sympa et tout, en première partie d’un groupe connu, Heaven Road. » Quand on voit le cheminement des deux après, c’est marrant. » [4]. La prestation de Heaven Road au Golf Drouot ce soir-là est accueillie de façon encourageante : « Mécanique encore un peu lourde, mais quelques-unes de leurs compositions françaises (« Soleils Couchants », « Histoires D’un Espoir ») sont loin d’être sans intérêt. » [5]. Le lendemain, Heaven Road redescend au Mans, toujours en compagnie d’Il Etait Une Fois, pour un gala à la Bourse de Commerce. Les deux groupes sont chapeautés par l’agence Eureka Management Paris.

Ce même 4 février, juste avant son troisième passage au Golf Drouot, Heaven Road effectue sa deuxième tentative en studio. Avec l’aide de Jacky Chalard, le groupe a décroché un rendez-vous pour une séance au studio des Dames, pour le label Vogue. En quelques heures, il enregistre une maquette avec deux titres, « Soleils Couchants » et « Sorcière », une composition cosignée par Chalard, dans une orientation nettement plus commerciale. Cet essai ne sera malheureusement pas plus concluant que celui réalisé pour Polydor l’année précédente, ce qu’explique Yves Tribaleau : « Je me souviens que ça n’avait pas été un succès terrible, en ce sens que les gars n’étaient pas prêts. Et comme on n’avait que très peu de temps, pour que les gars apprennent dans le studio, ça n’avait pas été terrible. » [6].

Le groupe décroche un engagement à l’Estrigon Club d’Uchaq (près de Mont-de-Marsan) pour le week-end du 11 au 13 février. Il se produit le vendredi et le samedi en soirée, ainsi que le dimanche dans l’après-midi. Chacun de ses passages remporte un vif succès. Le 4 mars, Heaven Road retrouve Dynastie Crisis à La Flèche pour un concert sous le chapiteau du « Théâtre des Pays de Loire », dans le cadre de la Quinzaine Culturelle. Près de 400 jeunes assistent au concert, en première partie duquel Heaven Road chauffe la salle, avec notamment un Chouchou déchaîné. Le 9 avril, le groupe remporte le concours annuel de la MJC des Mureaux, et se retrouve le mois suivant en couverture du numéro 1 du « Journal de Promo Club pour la Promotion des Groupes Français » (une publication pour la moins courageuse).

Quelques semaines plus tard, Alec décide de quitter Heaven Road. Il vient d’avoir un enfant et ne peut continuer à assumer de front la vie de famille et son activité avec le groupe. Pour lui succéder, les musiciens auditionnent plusieurs possibles remplaçants, sans résultats. Puis un jour, lors d'une répétition dans le sous-sol de l’église de Bellevue, Heaven Road fait la rencontre d'un claviériste dont le groupe répète dans le local d’à-côté. Au fil de la discussion, ce dernier propose ses services, et fait un essai qui sera concluant. L’arrivée dans Heaven Road de Jérôme Lavigne, personnage peu commun, va se révéler très déterminante. Doté d’une culture musicale très poussée, il va rapidement développer un impressionnant niveau de technicité instrumentale, hérité de la pratique du piano classique. Mais au-delà de ces qualités, Jérôme possède une conscience artistique forte, une conception sérieuse et exigeante de la musique, ce qui va fortement influencer de la suite de la carrière de Heaven Road. Il apporte avec lui quelques compositions déjà presque finalisées, comme « Le Point de Non-Retour », sur lesquelles le groupe va travailler.



Jérôme Lavigne, portrait 1973

« Le Point de Non-Retour », puisqu’il en est question, est une composition qui porte déjà la « patte » de Jérôme, notamment dans l’introduction, où les claviers et la guitare jouent à l’unisson un thème tarabiscoté, et qui fait entrer d’un coup la musique de Heaven Road dans une complexité nouvelle. Ce thème attachant, intéressant également par son texte, sera l’un des chevaux de bataille du groupe, qui le jouera sur scène durant plus de deux ans.

L’arrivée de Jérôme coïncide avec d’autres changements dans le groupe, en premier lieu le départ de Chouchou, quelques semaines plus tard. Jugé plutôt instable par les autres membres du groupe, avec lesquels ses rapports se sont passablement dégradés, il est remercié. Macson commente sobrement : « Le sax, il y a eu une embrouille avec lui… Il était pas très clean. » [7] A ce stade, les musiciens prennent conscience que l’identité et le son du groupe devaient beaucoup à Chouchou. Ses saxophones et sa flûte étaient caractéristiques de la musique jouée par Heaven Road, en droite ligne d’influences comme Colosseum, Jethro Tull et King Crimson, lesquels utilisent tous des cuivres et des instruments à vent. Aussi, de part le départ de Chouchou et l’arrivée d’un claviériste aussi imposant que Jérôme, le son de Heaven Road va devenir, très logiquement, davantage axé sur les sonorités des claviers et de la guitare.


Jérôme et Sam, Salle des Concerts du Mans, 13 octobre 1972

L’orientation du groupe va également être influencée par autre changement important, dans la vie personnelle de ses musiciens. Certains d’entre eux prennent leurs distances avec l’Education Nationale. Si Sam se met provisoirement en disponibilité, Macson et Kick’s démissionnent purement et simplement. C’est un choix qui n’est évidemment pas anodin, puisqu’il s’agit de la rupture d’un contrat de dix ans. Et la contrepartie va être douloureuse, puisque les anciens normaliens devront rembourser leurs frais de scolarité à l’Education Nationale, en même temps qu’ils se retrouvent sans couverture de santé. Aussi, ils s’inscrivent à l’université du Mans pour bénéficier de la sécurité sociale étudiante. « Tout le monde faisait ça à l’époque » [8]. Macson entre en faculté d’anglais, où il restera jusqu’à la licence (dont il obtiendra quelques unités de valeur). Sam, tout comme Jérôme, sera inscrit quelque temps en anglais, puis en droit, ainsi qu’en mathématiques. « Mais on n’y allait pas ! On s’occupait de la discothèque de la fac, avec Jérôme. La fac prêtait des disques, et il fallait des étudiants pour tenir ça, alors on tenait ça dans la journée ; on n’allait pas en cours. » [9] Cette décision de renoncer à la carrière d’enseignant est en partie motivée par un refus du cadre de l’Education Nationale et de ses méthodes pédagogiques. En ce qui concerne Kick’s, il s’agit même d’une réaction à la sanction de redoublement sans salaire de sa première année. Mais les musiciens ressentent aussi la volonté de se consacrer exclusivement à la musique et à Heaven Road, dont la carrière semble devenir prometteuse. Ils savent bien que s’ils veulent progresser, s’imposer et décoller, le prix à payer sera celui d’un travail intensif et acharné. Ainsi, ils sautent le pas et passent professionnels. C’est un réel nouveau départ. Si tous trouvent alors le temps de centrer totalement leur intérêt sur des activités musicales, ils savourent également avec délice leur toute nouvelle liberté. « Quand j’ai quitté le boulot d’instit’, j’étais soulagé, je me disais « Je peux faire ce que je veux, je fais de la musique, c’est super, je me lève plus de bonne heure, j’ai plus de contraintes » [10]

Jérôme fait ses débuts sur scène avec Heaven Road le 5 mai 1972 lors du tout premier concert pop organisé par la MJC du Ronceray (Le Mans). C’est une soirée très réussie, le groupe recevant un accueil très enthousiaste du public. A l’occasion de ce concert, Heaven Road annonce à la presse locale sa participation à la troisième édition du festival de Saint-Gratien, le week-end des 3 et 4 juin.

Ce grand rendez-vous de la pop music française et internationale représente une opportunité considérable pour le groupe, qui rôde actuellement sa nouvelle formation. Malheureusement, l’organisation du festival sera marquée par des difficultés certaines, faisant écho à la déroute financière de l’édition 1971. On se souvient en effet que le festival n’avait attiré qu’un public restreint, du fait d’une affiche concentrée principalement sur des groupes français. Saint-Gratien 1972 connaîtra également son lot de galères : tout d’abord, le festival est reporté à deux reprises, puis déplacé de Troyes à Nantes, au Parc des Expositions de la Beaujoire. Ensuite, la programmation évoluera sensiblement au fur et à mesure des désistements ; tant et si bien que jusqu’au démarrage des festivités le samedi 3 juin à 13 heures, on ne sait si deux des principaux groupes, Magma et Gong, seront réellement présents. Malgré tout, l’affiche du festival est sacrément alléchante, puisqu’on y retrouve un grand nombre de formations françaises qui ont rétrospectivement acquis un statut de « groupe-culte » : Dagon, Solitude, Au Bonheur des Dames, Barricade II, Voyage ou Catharsis. La programmation inclut également quelques artistes folk comme Roger Mason et Valérie Lagrange, deux formations belges, Creative Cranium et Lagger Blues Machine, ainsi qu’en groupe-vedette, les allemands de Amon Düül II, l’un des plus fameux représentants de l’école du « kraut-rock », la pop-music typiquement allemande, qui s’épanouit aussi bien outre-Rhin qu’elle se porte mal en France (c’est tout dire). En définitive, sur les 36 groupes annoncés, seulement 16 d’entre eux joueront. Heaven Road a le difficile privilège d’être le premier groupe à monter en scène. « C’est un souvenir assez particulier puisqu’on était dans les petits groupes qui passaient en début de programmation avant les groupes allemands, Amon Düül, etc… […] On faisait partie, je dirais, des amuse-gueules du festival. » [11] Quelques minutes avant son passage, une première bagarre avait éclaté entre les organisateurs et une bande de resquilleurs. Heaven Road ne joue pas longtemps, interrompu au milieu d’un de ses premiers morceaux par la montée sur scène d’un individu passablement aviné qui montre d’abord ses fesses au public, puis accapare le micro pour l’inévitable discours. La légende veut que ledit laïus ait eu pour thème l’indépendance de la Bretagne. « Ça arrivait souvent. On a joué dans d’autres festivals en plein air, et à chaque fois, c’était le même bazar, parce que quand c’était pas les Bretons, c’était tel ou tel groupe qui arrivait en gueulant « Musique gratuite ! On veut rentrer ! », etc.… Ce qui fait qu’il y a eu beaucoup de trucs annulés, enfin, c’était un peu le joyeux bazar. » [12] Quoi qu’il en soit, tout ceci n’est pas du goût des gens de l’A.J.E.V.O. (l’association organisatrice) qui tentent alors de faire descendre de scène l’indésirable. Mais c’est sans compter sur le renfort spontané de quelques-uns de ses compagnons, qui montent aussitôt sur scène. S’ensuit une nouvelle bagarre générale, et Heaven Road a tout juste le temps de dégager son matériel, sans trop de dégâts heureusement. Quelques heures plus tard, en coulisses, le groupe apprend par quelques responsables de l’A.J.E.V.O. que son passage, bien que bref, a pourtant grandement enthousiasmé le public, tout de même près de 12 000 personnes. Heaven Road se voit donc proposer de remonter sur scène dans la nuit, après le concert du groupe Solitude. Et là, le groupe fait son véritable passage, chaleureusement ovationné par l’assistance. Heaven Road est même bissé, et joue lors de son rappel quelques standards de rock & roll. Dans son compte-rendu, Pop 2000 indique : « Les révélations (puisqu’il y a toujours des révélations dans un festival) ont été Nuances, Dagon et surtout Heaven Road. […] Dommage qu’il manque de matériel valable. » [13] Le reste du festival sera également entaché d’incidents divers, bagarres, jets de bouteilles et resquille. Au final, cette troisième édition du festival de Saint-Gratien sera aussi la dernière. Cet échec illustre très clairement les difficultés d’implantation de ce type de manifestation en France. Se remémorant la participation de Heaven Road à Saint-Gratien 72, Kick’s commente : « Le mauvais côté de ces années-là, c’est que ça ne pouvait pas être professionnel, parce qu’il n’y avait pas assez de moyens. Et il n’y avait pas assez de moyens parce que les gens trouvaient que c’était trop cher, et qu’il fallait que la musique soit gratuite. Et on avait beau leur expliquer que nous, on voulait bien que ce soit gratuit, mais que dans ce cas-là, il fallait que les instruments soient gratuits, et que le boulanger nous donne son pain… » [14] Et il s’en faut d’ailleurs de peu pour que le groupe ne soit même pas payé : « Je me souviens qu’on s’était fait la caisse à la fin pour pouvoir rentrer » [15]

Vers le milieu de l’année 1972, Heaven Road passe à la vitesse supérieure. Il délaisse les locaux de l’église de Bellevue, et va s’installer dans une ferme située aux environs de Malicorne et Parcé-Sur-Sarthe, où le groupe répète mais vit aussi quasiment en permanence. « Un site superbe et idéal pour un groupe de rock : très vivant, chaleureux et très occupée l’été, plus tristounet et froid le reste de l’année, surtout les soirs de répète, l’hiver, sans chauffage. » [16] Si Macson, marié, partage son temps entre son appartement de la rue Renée Auduc au Mans et la ferme, Jérôme, Sam et Kick's goûtent aux joies de la vie en communauté. Sam se souvient, ému : « La vie en ferme, c’était une grosse rigolade, franchement. Bon, il y avait la petite fumette un peu de temps en temps aussi, comme tout le monde à l’époque […] Les fermes, on y vivait parce qu’on répétait là-bas. L’hiver, on rentrait chez nos parents, c’est pour dire que c’était pas drôle. J’étais plutôt indépendant, j’avais pas assez de fric pour me louer un appartement, donc je préférais rester là-bas avec Jérôme. On ramenait des filles, on rigolait bien, c’était une belle vie. » [17] Mais la vie du groupe à la ferme est également rythmée par les cadences passionnées de son travail sur sa musique. « Ça nous arrivait de passer des jours, des nuits sans décoincer. Une bonne expérience…» se souvient Macson [18]. Le travail du groupe se partage entre deux aspects, la création et les mises en commun. A raison d’une à deux séances par semaine, les répétitions sont suivies de façon très assidue par tous les membres du groupe : « On ne les ratait jamais, sous aucun prétexte. Je ne pense pas en avoir raté une seule. » [19] Et le travail de création est quant à lui permanent, presque incessant. Le groupe met à profit tout le précieux temps libre dont il dispose pour se consacrer davantage à ses compositions personnelles.


Sam, Macson, Jérôme et Kick’s dans la cour de la ferme de Malicorne, août 1972


« Je ne crois pas qu’il y ait eu un jour où on se soit dit « Tiens, j’ai la révélation suprême, on va faire nos compos. […] On avait du temps pour répéter, et le temps pour répéter, ça donne envie de se consacrer à l’écriture d’un thème, et puis d’un autre, et puis on met ça bout à bout, et puis on dit « Tiens, c’est pas mal… » [20] Le processus de création du groupe est basé sur des méthodes démocratiques, « […] un peu comme la plupart des groupes composent, en travaillant ensemble, même si l’idée vient d’untel ou d’untel, elle est modifiée par les autres. » [21] « On répétait en mettant des idées en commun. Macson arrivait souvent avec une idée de départ, Jérôme rajoutait ses arrangements, moi j’essayais de trouver des parties de basse qui soient à peu près intéressantes. » [22] « Moi, j’ai travaillé des nuits et des nuits avec Jérôme sur les thèmes qu’il proposait aux claviers, on a beaucoup bossé à deux. Il n’y avait pas de clans, mais Macson continuait à composer à la guitare. » [23] « Il y avait une certaine cohésion parce que chacun apportait sa pierre à l’édifice, dans la construction des morceaux. » [24] Dans la dynamique du groupe, Jérôme a très rapidement gagné un rôle important : « L’arrivée de Jérôme a été déterminante pour aller plus vers un type de son à la Genesis, Yes, etc… C’est normal, d’ailleurs, il était dans son rôle de claviériste […] Il avait plus le rôle du compositeur, et moi plus celui du – bon, je ne vais pas oser dire du producteur – mais enfin, un peu ce rôle-là quand même. Arrangeur, sans être musicien au sens… Moi, j’ai toujours été nul en solfège, mais par contre je crois que j’ai une bonne oreille. » [25] Même si Kick’s emploie le mot « producteur » avec prudence, il y a effectivement chez lui une ambition de cet ordre, une volonté de s’impliquer à un niveau qui n’est plus strictement instrumental. « Je crois qu’il s’agit d’une revanche que je voulais prendre sur mon impossibilité à devenir pianiste, une fascination pour les mélodies et les harmonies que j’ai beaucoup étudiées et mémorisées (je ne lis pas le solfège). Chaque fois qu’un accord ne me satisfaisait pas, je demandais à Jérôme d’essayer telle note que je lui chantais. Nous avons énormément travaillé à deux sur les structures des morceaux, sur les harmonies et sur les sons. Mais c’est bien lui et Macson qui amenaient le matériau d’origine. Je n’ai été qu’un transformateur du travail d’imagination des autres. » [26]

Le travail du groupe sur ses compositions est également marqué par une certaine continuité conceptuelle, pour reprendre un terme cher à Frank Zappa. En effet, Heaven Road effectue une sorte de recyclage de ses anciennes compositions pour en reprendre quelques idées sur de nouveaux thèmes. C’est particulièrement évident avec le morceau « Tout », dont la structure sera régulièrement retravaillée. Au cours de l’année 1972, « Tout » est réarrangé une première fois ; on le retrouvera l’année suivante sous la forme d’un autre thème, « La Route », lui-même retravaillé pour devenir « Le Dieu des Enfers » quelques mois plus tard.



Heaven Road, Salle des Concerts du Mans, 13 octobre 1972

Kick’s évoquait plus haut Genesis et Yes, des noms un peu nouveaux dans l’univers de Heaven Road. En effet, il s’agit de groupes britanniques contemporains qui commencent à connaître un succès grandissant et qui sont les principaux étendards de ce qu’on appellera historiquement le rock progressif symphonique. Il se trouve par ailleurs que ces formations constituent les principales influences de Jérôme. Cette musique résolument nouvelle trouve sa source dans les expériences pionnières des Moody Blues, Procol Harum ou King Crimson, qu’elle prolonge dans une direction très particulière, très inspirée de la musique classique. Cette influence du classique se traduit par de très grandes exigences en termes de composition : les structures explosent et le format des morceaux (il ne s’agit plus de chansons à proprement parler) s’adapte aux ambitions des compositeurs, la seule contrainte étant d’ordre technique, une face de 33 tours durant en moyenne 20 minutes. Les compositions prennent alors des formes libres, elles peuvent être vues autant comme des œuvres musicales que comme des travaux d’architecture ou de sculpture sonore. Les musiciens du mouvement progressif donnent à leur musique les moyens de leurs ambitions, en accordant une place privilégiée à la technicité instrumentale ; ainsi, toute une génération de musiciens virtuoses, d’éducation classique, sortis de conservatoires prestigieux, trouve sa place dans le paysage rock de l’époque. C’est tout naturellement les claviéristes qui sont ainsi mis sur le devant de la scène, et les plus fameux exemples de ce phénomène ont pour nom Keith Emerson (Nice, E.L.P.), Tony Banks (Genesis) ou Rick Wakeman (Strawbs, Yes). Mais si l’on a vu que cette scène symphonique connait un succès triomphal en Italie, en France il s’agit d’un mouvement un peu marginal qui reste réservé aux initiés. Jérôme fait partie de ces derniers, et il fait découvrir aux membres de Heaven Road cet univers musical, qui intègre en même temps le faisceau des inspirations du groupe. Si Sam devient rapidement un fanatique de formations comme Gentle Giant, Kick’s reste plus réservé. « Je n’ai pas le souvenir qu’on ait écouté beaucoup d’albums de Genesis et de Yes, ou d’autres. On aimait bien ça, mais pas plus que Family… Il y avait vraiment des styles de musique assez différents qui pouvaient continuer à nous inspirer, mais sans plus. Moi, j’ai l’impression que la musique de Genesis, celle de Yes et de Emerson Lake & Palmer, etc., je les ai découvertes – et je crois que Jérôme était dans le même état d’esprit – un peu en parallèle avec nos compositions, je dirais même presque a posteriori. » [27]. Macson, bien qu’intéressé par ces nouveautés, reste tout de même attaché à des modes d’expression plus bruts et directs, hérités d’un rock plus traditionnel. « […] Je ne renie pas du tout mais ça correspondait plus à une époque, peut-être une mode aussi. On était fortement influencés, c’est vrai, à cette époque, par des gens comme Genesis, aussi parce qu’on travaillait avec un clavier ; parce qu’à cette époque, c’était ce genre de musique qui plaisait et puis […] on cherchait à faire des choses qui n’avaient pas été encore entendues, beaucoup plus que maintenant où on [Macson le Groupe, NDA] cherche à rejoindre nos sources musicales. » [28]


Sam, Salle des Concerts du Mans, 13 octobre 1972

Ainsi, il se dessine dans la direction stylistique du groupe une double orientation. D’un côté, le rock pur et dur, l’énergie, la « défonce » ; et de l’autre la recherche, le raffinement, l’expérimentation. Comme on peut le lire dans Ouest-France, le nom même du groupe « suggère un mélange de rythme rock carré, puissant, évoqué par road et de musique « free », plus recherchée, évoquée par heaven. » [29] Cette dualité semblerait même être personnalisée par les deux compositeurs principaux du groupe, Jérôme d’un côté et Macson de l’autre.

La nouvelle mouture de Heaven Road travaille d’arrache-pied à ses nouvelles compositions, l’humeur est à l’exaltation même si le quatuor a adopté un rythme de travail pour le moins spartiate. Au cours de cette période d’intense créativité, le groupe voit naître une certaine cohésion entre ses membres, musiciens, sonorisateurs et éclairagistes. Tous se lient d’une très profonde amitié qui les aidera à se soutenir dans l’adversité et les galères. L’équipe s’est récemment agrandie avec l’arrivée d’un nouveau membre régulier, Martial Luçon, « Lulu » pour les intimes. Normalien lui aussi, originaire de Sablé-sur-Sarthe, c’est au départ un ami de Guy « Gus » Bernardeau. Amateur de musique, Lulu intègre peu à peu le cercle des proches du groupe, dont il finit par devenir le road-manager. Entre-temps, sur quelques mois de l’année 1971, il aura fait une expérience de colocation avec Gus et Kick’s dans un appartement insalubre du Vieux-Mans, alors que Gus effectuait une année de redoublement sans salaire.


Martial « Lulu » Luçon, ferme de Malicorne, été 1973

Dans son numéro 8 (septembre 1972), le magazine Pop 2000 consacre un article à Heaven Road, orné d’une superbe photo déjà ancienne, puisque figurent encore sur celle-ci Michel Chevrier et Alec Richard. Cette période de transition, amorcée avec les départs de ces derniers et l’arrivée de Jérôme, s’est achevée le mois précédent avec le retour de Miror, fraîchement libéré de ses obligations militaires. « Je pense que les copains étaient heureux de mon retour, par simple amitié d’abord, mais aussi parce que la faiblesse du groupe, c’était justement les voix. Macson avait bien assuré pendant mon absence mais être à la fois le lead guitar et le lead vocal c’est lourd et fatigant. Mon retour le libérait un peu et apportait un instrument à part entière. » [30] De son côté, Miror retirera quelques aspects positifs de cette expérience pourtant douloureuse. Durant ces longs mois de « quasi non-activité forcée », il a pris l’habitude de travailler ses textes, à fréquence plus régulière et de façon plus exigeante. « J’avais l’impression d’avoir plein de choses à exprimer, par le chant, la scène et la musicalité du Heaven. » [31] Cette inspiration féconde va se retrouver dans de nouveaux thèmes, comme « La Paille de mes Sabots », qui fait directement référence à son vécu de jeune instituteur : « C’est une des rares compos perso qui parle de mon job d’instit’ et où j’exprime mon refus de ce rôle de normalisateur/moralisateur que l’Education Nationale souhaitait nous faire jouer à l’époque (la fin de la récré 68 en quelque sorte) auprès de nos petits élèves et de leurs parents. Une chanson « engagée » comme on disait, et donc à ne pas proposer dans n’importe quel contexte. […] « Paraît qu’je marche à côté d’mes souliers / Que j’ai une drôle de façon d’m’habiller / Qu’ça fait du tort à la profession / Vu qu’c’est un des plus beaux fleurons de la Nation… » [32]

Miror, au retour de son service militaire, août 1972

Ce côté engagé, que l’on retrouve dans d’autres compositions du groupe, détonne sensiblement dans le paysage pop de l’époque, où l’inspiration générale dérive encore principalement des thèmes de l’après-1968. Considérations utopiques et idéalistes, évocations de divers certains facteurs d’aliénation (travail, milieu urbain) ou encore premières prises de conscience écologiques font partie des sujets abordés par des groupes comme Dynastie Crisis (« Réveille-Toi ») ou Triangle (« J’ai Vu », « La Pâte Grise »), mais assez timidement, et dans une veine assez mièvre et consensualiste. Et c’est là que Heaven Road commence à faire entendre sa différence. Car si certaines de ses compositions, comme « Tout » ou « L’Enfant Triste », n’échappent pas à une certaine naïveté typique de l’époque, d’autres révèlent un point de vue bien plus acéré, un sens critique et une ambition de dénonciation assez rares. Inaugurée avec « Le Point de Non-Retour » (qui abordait, un an avant l’auteur Serge Livrozet et son manifeste « De la prison à la révolte », le malaise du système carcéral), cette démarche se prolonge avec des thèmes tels que « O.S. », mise en musique, d’un réalisme hallucinant, du cauchemar d’un ouvrier spécialisé de chez Renault. Un morceau majoritairement instrumental, à travers lequel Heaven Road tente de créer des images et suggère à la manière expressionniste. C’est la première incursion du groupe dans un domaine qui se rapproche de l’illustration sonore d’images, comme la musique de film, à ceci près que la musique de Heaven Road ne s’appuie sur aucun support. Et effectivement, l’on pense aux « Temps Modernes » de Chaplin, mais vus à la façon d’un cauchemar. « Au niveau structure du morceau, c’était très simple, on prenait la journée de travail d’un ouvrier spécialisé, bon, voilà, je m’appelle machin, je travaille chez Renault, le matin je me lève, je vais au boulot, c’est la pointeuse, c’est la machine qui fait toujours le même bruit toute la journée ; le soir, je rentre chez moi, je suis crevé, si y a rien à la télé, je vais me coucher et la nuit je ressasse tout ce qui s’est passé dans la journée… Voilà, c’est hyper simple, dans la conception de la structure du morceau, mais ça nous a permis de faire quelque chose d’intéressant avec des thèmes répétitifs qui en plus à l’époque, marchaient très bien. » [33] « Ce qui est frappant, c’est que leur musique ne se contentait pas seulement d’explorer des univers oniriques, ce n’est pas seulement cela, il y avait aussi quelque chose de fortement ancré dans le réel, un commentaire social. On sent comme des préoccupations d’enfants d’ouvriers, une conscience politique et sociale qui n’était pas très répandue à cette époque chez les groupes pop. » [34] Ce qui montre finalement Heaven Road comme un groupe pas forcément cool, assez en rupture du peace and love, du flower power et des bons sentiments de rigueur à cette époque…

Et même lorsque le groupe aborde des thèmes moins profonds, comme par exemple les relations amoureuses, c’est toujours avec une approche singulière et éminemment personnelle. Dans « La Foire à l’Ennui » par exemple, on est au départ dans une histoire plutôt commune de désunion dans un couple en proie à la routine. Mais très rapidement, on se retrouve transporté dans le décor délirant d’une attraction foraine étrange, avec un Miror possédé, haranguant comme un camelot de cauchemar, « Approchez ! Approchez ! C’est la foire à l’ennui ! » (un thème qui n’est pas sans évoquer le finale du « Cimetière des Arlequins » de Ange, paru quelques mois plus tard, « Entrez ! Entrez beau monde… »).

Miror effectue donc son retour sur scène avec Heaven Road à la Salle des Concerts du Mans, le vendredi 13 octobre. Après cette période de break, il n’est pas forcément aisé de reprendre ses marques dans le groupe, qui a beaucoup changé depuis un an. Comme l’observe Mike Lécuyer (Pop 2000), présent dans la salle, « […] on le sent encore un peu crispé par cette coupure mais le « feeling » est là, et dans quelque temps, il n’y paraîtra plus. » [35] Lors de ce concert, Heaven Road propose un répertoire assez long, constitué quasi-exclusivement de compositions originales, « Solitude », « Histoire d’un Espoir », « O.V.N.I. », « O.S. », « Démence », « Soleils Couchants », « Le Point de Non-Retour », « La Foire à l’Ennui », « Clair Obscur » ou « Tout ». Quelques-unes de ces compositions sont récentes, issues du travail de la dernière mouture du groupe, avec son nouveau claviériste, véritable cheville ouvrière au niveau de l’écriture. On retrouve aussi quelques reprises, comme l’habituel « Astronomy Domine » de Pink Floyd, ainsi que deux standards, « Dust My Blues » et « Rock Your Mama », évocateurs des racines blues-rock du groupe, et joués en rappel devant un public délirant, debout et dansant. Heaven Road fait grande impression auprès de la presse spécialisée qui a fait le déplacement jusqu’au Mans : « Les textes en français sont envoyés au public sans ménagement ; certains, très violents, vous font l’effet d’une lame de couteau.[…] Il y a des moments très intenses où musique et paroles éclatent littéralement sur scène. Moments privilégiés qui, s’ils augmentent pour ne donner qu’un show, réussi dans sa totalité, feront d’Heaven Road un des orchestres les plus intéressants et originaux des espoirs français. » [36]

Heaven Road, Salle des Concerts du Mans, 13 octobre 1972


A cette époque, les membres de Heaven Road n’ont pas perdu de vue l’idée d’enregistrer un disque. Mais pour sonner aux portes des labels, ils estiment qu’il leur faut d’abord présenter une maquette représentative de leur travail avant de procéder à tout essai en studio, leurs deux premières tentatives en ce sens s’étant en effet soldées par des échecs. Dans son compte-rendu du concert du 13 octobre, le Docteur Maxipop lance donc un appel bienveillant : « […] par la même occasion, si vous connaissez un studio 8 pistes pas trop cher pour qu’ils enregistrent une maquette, écrivez-nous d’urgence, c’est très important. » [37]

Il existe un document de cette époque, une bande enregistrée en 4 pistes, comprenant 11 titres et qui pourrait bien avoir constitué une possible maquette pour un 30-cm. Même si le document n’est pas daté, sa réalisation remonte vraisemblablement à la seconde moitié de l’année 1972, puisqu’on y entend Miror et Jérôme, sur des compositions que le groupe jouait régulièrement sur scène durant cette période.

Il subsiste également d’autres bandes de cette époque, que l’auteur de ces lignes avait surnommées « The Tribaleau Tapes », puisqu’elles ont été enregistrées et conservées par Yves Tribaleau, dans le cadre de sa mission de sonorisateur du groupe. Il s’agit d’un témoignage passionnant des concerts de Heaven Road, à travers des extraits captés sur différentes scènes (dont celle d’une fête à Chigné, dans le Maine-et-Loire) et dont la qualité sonore est loin d’être mauvaise, surtout si l’on tient compte de l’âge de ces documents et des moyens d’enregistrements de l’époque. Ces bandes constituent – à ce jour – la seule opportunité d’entendre Heaven Road dans son contexte de prédilection, c’est-à-dire la scène. Et celles-ci restituent assez bien l’ambiance de ces concerts, chaleureuse et joviale, et où le groupe montre un évident plaisir de jouer, tant sur ses propres compositions que sur des reprises triées sur le volet. On y observe aussi la cohésion du groupe, appuyé par un batteur inventif et puissant, avec également un intéressant travail aux claviers, ainsi que de brillantes prestations de Miror, fabuleux chanteur, digne émule de Stevie Marriott (Small Faces, Humble Pie) ou Robert Plant (Led Zeppelin) et dont la voix évoque souvent Jo Lebb (Variations) sur les textes anglophones et Johnny Hallyday sur ceux en français. Enfin, il est à noter que ces documents ne constituent pourtant pas les archives sonores les plus anciennes concernant le groupe, puisqu’une autre bande (vraisemblablement enregistrée en 1970 lors de répétitions et de qualité sonore très médiocre) offre à entendre la première mouture du groupe (avec Chouchou), s’essayant à « Paradise » (Vanilla Fudge), « Moonchild » et « 21st Century Schizoid Man » (King Crimson).

Pour son concert du 13 octobre, Heaven Road partage l’affiche avec deux autres groupes locaux, Naufrage et Kyste. Ce dernier va régulièrement croiser la route de Heaven Road pendant près de dix mois. Formé à la Flèche en mai 1971, Kyste, sous-titré non sans humour « le groupe qui s’incruste », est composé en majorité d’élèves du lycée manceau Notre-Dame de Sainte-Croix. Ses musiciens sont assez jeunes, et le groupe ne possède quasiment pas de matériel. Heaven Road, dont les membres sont réputés pour leur gentillesse et leur générosité, va prendre ce jeune groupe sous son aile, jouant ainsi ce qu’on pourrait appeler un rôle de « grand frère », prêtant du matériel, partageant les plans, en l’invitant notamment à se produire en première partie de ses spectacles. Pourtant, la musique de Kyste n’a guère de points communs avec celle de Heaven Road. Son style est résolument underground et fait appel à des références bien spécifiques, relativement extrêmes dans l’univers de la pop-music « classique », Moving Gelatine Plates, Soft Machine, Zappa, Magma ou encore Van Der Graaf Generator. Le saxophoniste-flûtiste Christian Legeay subit même quant à lui l’influence très marquée du jazz, de Charlie Parker pour les plus classiques, à Michel Portal pour les plus avant-gardistes. Avec de pareilles sources d’inspiration, la musique de Kyste est, comme on peut s’y attendre, assez étonnante : exclusivement instrumentale, avec des développements courageux et beaucoup de bonnes idées, même si l’on ne trouve pas chez Kyste des qualités d’instrumentistes aussi poussées que chez Heaven Road. Ces lacunes techniques sont compensées notamment par un grand sens de l’humour, que l’on retrouve jusque dans les titres des compositions, « Intestinal Transit Moribond », « J’Aime les Croque-Monsieur du Lundi Soir, suivi du Réveil du Jeune Cadre », « Mon Otarie Aussi Sait Jouer de la Cornemuse ». On n’est pas loin du surréalisme de Satie et de ses « Morceaux en Forme de Poire »…


Kyste, Salle des Concerts du Mans, 13 octobre 1972

Alors que les deux groupes se produiront ensemble à plusieurs reprises, il naîtra une certaine amitié entre leurs claviéristes, Jérôme Lavigne et Lionel Epaillard. Ce dernier admire Jérôme, notamment pour sa culture musicale et son sens de l’ouverture. « Au-delà du fait qu’il était un type très généreux, très humain, je lui trouvais une certaine distinction. Et puis, il avait vraiment un superbe clavinet Hohner (rires)… » [38] Epaillard comprendra la complexité de la personnalité de Jérôme : « Le groupe se composait de mecs très gentils, peut-être trop gentils d’ailleurs. Ils étaient prêts à certaines concessions, au contraire de Kyste. Mais Jérôme était un véritable mélange de cynisme et de sensibilité. On sentait une blessure interne chez lui, il pratiquait beaucoup l’autodérision et n’était pas tendre avec lui-même. Il était cynique vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis du monde. Par exemple, lorsqu’il parlait des « bourris », c’était quelque chose de terrible… » [39] Jérôme et Lionel Epaillard se lient d’amitié et seront même rapprochés par un projet musical commun. « L’idée était de faire un concert, à deux, uniquement aux claviers. Nous avions des chemins musicaux parallèles, mais Jérôme était très ouvert à la musique électronique et répétitive ; il connaissait et appréciait des gens comme Terry Riley ou Klaus Schulze. Nous avons répété deux ou trois fois ensemble, dans l’arrière-salle d’un restaurant, mais ça en est resté là, malheureusement. » [40]


Lionel Epaillard, Salle des Concerts du Mans, 22 décembre 1972


Le 17 novembre, Heaven Road se produit à Laval, au cinéma « Le Club » de la rue Saint-Martin. La programmation de ce concert fait écho au succès remporté par le groupe au mois de décembre 1971, lors de son passage en compagnie du Ramsey Set et des Shouters. Cette fois, Heaven Road se produit seul, devant deux cents personnes, parmi lesquelles le journaliste Jean Théfaine, qui avait découvert le groupe lors de son précédent concert lavallois, dont il avait fait un compte-rendu des plus enthousiastes. Cette fois, son article, titré « Fantastique Heaven Road », est délirant. « Pour une surprise, c’est une surprise. Heaven Road était passé à Laval il y a un an. Déjà le groupe tournait rond, mais sans plus. Un parmi tant d’autres. […] Heaven Road était de retour dans nos murs vendredi dernier, au cinéma « Le Club », devant deux cents personnes à peine. Deux cents personnes qui n’en croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles. Il faut se rendre à l’évidence : Heaven Road est tout simplement fantastique et […] ce groupe va devenir un des meilleurs de France. Musicalement il n’a rien à envier à Martin Circus, Triangle ou Dynastie Crisis. Peut-être lui manque-t-il encore un brin de métier, un peu de pratique de la scène. Maigre reproche à côté de ses énormes qualités. » [41] Théfaine est absolument stupéfait par la prestation de Miror : « A tout seigneur, tout honneur : le chanteur. L’étendue de son registre de voix lui permet, avec le même bonheur, de réciter du Verlaine, de déchirer à pleines dents des textes français engagés, de susurrer des mélodies « pink-floydiennes », de hurler des blues rauques et rageurs, de se défoncer dans des rocks carrés et sans bavures. Bref, du grand art. » [42] Mais le journaliste n’oublie pas pour autant de saluer les qualités des autres membres du groupe : « […] Mais le chanteur ne serait rien s’il n’était soutenu par une formation au summum de sa forme. André Beldent à la guitare solo, Richard Fontaine à la guitare basse, Christian Savigny à la batterie, Jérôme Lavigne à l’orgue, sont de vrais professionnels, avec ce que cela suppose de maîtrise et de technique. Mais en plus, ils ont un évident plaisir de jouer. Et le courant passe ; la salle vibre, participe, applaudit, danse. » [43] Evoquant les références du groupe, Pink Floyd ou King Crimson, Théfaine conclut : « […] le groupe a dépassé le stade où on se contente de plagier, même avec talent. Il a acquis son langage, et par là, le droit de cité au Panthéon de la pop-musique. Théoriquement Heaven Road doit bientôt enregistrer un disque. Une très bonne nouvelle. » [44]



Heaven Road en concert au cinéma Le Club, Laval, 17 novembre 1972


Un concert est programmé au Théâtre Municipal du Mans pour le mois de décembre, le 2 ou le 12 selon les sources, en première partie du groupe Catharsis. Heaven Road a déjà eu l’occasion de croiser ce groupe mythique de la scène pop française lors du festival de Saint-Gratien. Catharsis, formation à laquelle appartient le compositeur Roland Bocquet, connait un parcours assez difficile, malgré qu’il ait sorti une poignée d’albums intéressants, emblématiques de cette époque. Le style du groupe est assez particulier, manifestement très inspiré par Pink Floyd et exclusivement instrumental. Le son de Catharsis n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de Heaven Road, Roland Bocquet et Jérôme ayant notamment pour point commun d’utiliser un orgue Farfisa, aux sonorités très spécifiques, et radicalement différentes du Hammond (généralement considéré par les musiciens du mouvement progressiste comme le must en matière de claviers). Puisque nous parlons ici de Catharsis, il convient de lever le voile sur une légende, encore aujourd’hui tenace, et qui voudrait que cette formation soit sarthoise. Cette idée est entre autres entretenue par le fait que le quatrième album de Catharsis est intitulé « Les Chevrons », d’après le nom du château dans lequel s’était installé le groupe, près de Saint-Calais. Ainsi, Catharsis, bien qu’originaire de la région parisienne, passera toujours pour un groupe sarthois, ce qu’il ne fut pas véritablement, si ce n’est d’adoption.

Après s’être produit à la Salle des Concerts du Mans le 22 décembre en compagnie de Kyste, Heaven Road retrouve le Golf Drouot lors du week-end de Noël, avec les groupes Fragile et Papoose. Le samedi 23 décembre au soir, les manceaux assurent un set impeccable, présentant au public parisien leur nouveau répertoire. Le journaliste Roger Frey, qui couvre la soirée pour le magazine Best, estime au vu de quelques-unes des compositions originales du groupe (« Prologue », « Histoire d’Un Espoir », « O.S. », « L’Enfant Triste », « Le Point de Non-Retour », « La Nuit Liberté »), qu’il est « vraisemblable qu’Heaven Road sera au tout premier plan de la nouvelle vague 1973. » [45]

Heaven Road, Salle des Concerts du Mans, 13 octobre 1972


[1] Yves Tribaleau, interview 05/04
[2] André Beldent, interview 10/04
[3] Yves Tribaleau, interview 05/04
[4] André Beldent, interview fanzine « Exit », 02/99
[5] Super Hebdo Pop Music, 10/02/72
[6] Yves Tribaleau, interview 24/03/04
[7] André Beldent, interview fanzine « Exit », 02/99
[8] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[9] Id.
[10] Id.
[11] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[12] Christian Savigny, interview 25/03/04
[13] Pop 2000 n°7, 08/72
[14] Christian Savigny, interview 25/03/04
[15] Yves Tribaleau, interview 24/03/04
[16] Jean-Louis Briand, mail 05/01/05
[17] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[18] André Beldent, interview fanzine « Exit », 02/99
[19] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[20] Christian Savigny, interview 25/03/04
[21] Id.
[22] Richard Fontaine, interview 23/03/04
[23] Christian Savigny, interview 25/03/04
[24] André Beldent, interview fanzine « Exit », 02/99
[25] Christian Savigny mail 26/03/04
[26] Id.
[27] Christian Savigny, interview 25/03/04
[28] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[29] Ouest-France, 04/05/72
[30] Jean-Louis Briand, mail 05/01/05
[31] Id.
[32] Id.
[33] André Beldent, interview 15/05/99, émission « Progfest » (Radio Alpa)
[34] Lionel Epaillard, interview 04/04
[35] Pop 2000 n°12
[36] Id.
[37] Maxipop 11/72
[38] Lionel Epaillard, interview 04/04
[39] Id.
[40] Id.
[41] Ouest-France, Mayenne, 21/11/72
[42] Id.
[43] Id.
[44] Id.
[45] Best, 02/73